Conférence de Bernard Drainville à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain - Les obstacles qu'il devra surmonter pour diplômer 30 000 élèves à la FP
MONTRÉAL, le 14 févr. 2023 /CNW/ - À l'occasion d'une conférence de Bernard Drainville à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain dans le centre-ville de Montréal ce matin, une trentaine de profs de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) étaient présents pour rappeler au ministre de l'Éducation que l'école publique a besoin d'amour. Pour la FAE, l'une des meilleures façons de lui en donner est d'offrir de meilleures conditions de travail aux enseignantes et enseignants et, par conséquent, de meilleures conditions d'apprentissage aux élèves. Plus spécifiquement, le ministre Drainville devra bonifier les conditions du secteur de la formation professionnelle (FP) s'ils souhaitent attirer de nouveaux profs pour diplômer 30 000 élèves au cours des quatre prochaines années, l'une de ses sept priorités.
Pour ce faire, le ministre Drainville, devra surmonter de nombreux obstacles afin de fournir aux employeurs de nouvelles personnes qualifiées dans les secteurs névralgiques de l'économie.
« L'atteinte de cet objectif, qui représente selon le gouvernement une hausse de 34 % de la diplomation, reposera sur le milieu de l'éducation, particulièrement sur les épaules des profs. L'identification des moyens et la mise en œuvre de mesures pour y arriver doit se faire avec nous, déclare Mélanie Hubert, présidente de la FAE. L'objectif du ministre de l'Éducation est louable, mais les employeurs doivent résister au chant des sirènes. En raison des conditions de travail actuelles et de la pénurie de personnel enseignant, nous craignons que de futurs profs, mais aussi que les travailleuses et travailleurs des différents secteurs visés, ne répondent pas à l'appel de Monsieur Drainville. De plus, il faut s'assurer de ne pas mettre en péril la qualité des formations offertes », souligne madame Hubert.
Près de 4 000 enseignantes et enseignants ont démissionné de leur poste depuis trois ans, d'après des données récentes des centres de services scolaires. Or, diplômer 30 000 élèves au cours des prochaines années nécessitera des centaines d'enseignantes et enseignants… qui ne sont pas encore formés.
Par ailleurs, plusieurs métiers des secteurs ciblés vivent aussi une pénurie de travailleuses et travailleurs. Prendre ceux-ci pour en faire des enseignantes et enseignants amplifierait davantage la pénurie dans ces secteurs. Les employeurs sont d'ailleurs très au fait de la mobilité de la main-d'œuvre et proposent de plus en plus d'incitatifs pour les retenir ou les attirer : primes, meilleurs salaires, etc.
De plus, il n'est pas rare en ce moment que les centres de services scolaires embauchent des travailleuses et travailleurs qui possèdent aussi peu que deux ou trois ans d'expérience professionnelle pour devenir enseignante ou enseignant. La préoccupation qui en découle est la qualité des formations offertes. Nombreux sont les nouveaux profs à la FP qui attendent quelques années pour étudier en enseignement. Ils prennent le temps d'évaluer si leur changement de carrière en vaut la peine, de comprendre et de s'approprier les contenus des programmes qu'ils enseignent, d'acquérir une expérience significative, etc.
Diplômer 30 000 élèves nécessitera l'inscription et la fréquentation de beaucoup plus que 30 000 élèves. En 2020-2021, 111 224 élèves fréquentaient l'un des quelque 200 programmes à la FP du réseau des écoles publiques francophones au Québec. Toutefois, seulement 59 233 élèves ont été diplômés la même année, soit 53 %. L'école publique québécoise est loin de diplômer tous les élèves qui fréquentent les programmes de formation professionnelle.
Il faut aussi savoir que les cohortes en FP comportent désormais un taux important d'élèves à besoins particuliers. Une étude, présentée à l'ACFAS, démontre que seulement 42 % des élèves à la FP ne présentaient pas de difficulté. Le ministre en tiendra-t-il compte? Si l'on veut favoriser la diplomation, il faut investir davantage dans les services complémentaires offerts aux élèves (orthopédagogues, psychologues, psychoéducateurs, etc.). Notons au passage qu'il y a aussi une pénurie de ces professionnels.
De plus, sauf pour certains secteurs, il y a en général un maximum de 22 élèves par classe. Cela dit, plusieurs secteurs exigent un nombre plus restreint d'élèves comme pour les secteurs de la santé (maximum de 6 élèves en milieu hospitalier), agriculture, pêche ainsi que foresterie et papier (maximum de 13 élèves). Cela dit, il faudra aussi des locaux disponibles pour leur enseigner, un défi criant à l'heure actuelle en raison de l'état des bâtiments scolaires et de leur disponibilité.
La majorité des personnes embauchées pour enseigner à la FP n'ont pas commencé un baccalauréat en enseignement, ce qui en fait des personnes enseignantes non légalement qualifiées. Elles détiennent pour la plupart un DEP (diplôme d'études professionnelles), voire une ASP (attestation de spécialisation professionnelle). Dans un tel cas, le ministère de l'Éducation offre une tolérance d'engagement, tout en exigeant de ces personnes qu'elles obtiennent un baccalauréat en enseignement professionnel, un programme de 120 crédits de 4 ans à temps plein.
Si des travailleuses et travailleurs répondent à l'appel du ministre de devenir enseignante ou enseignant, ils devront, à temps partiel, faire un baccalauréat. Or, en décembre, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, et le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, ont indiqué dans leurs propositions patronales, dans le cadre de la négociation nationale, qu'ils souhaitaient retirer l'amplitude des journées de travail dans le secteur de la FP. Le ministre Drainville a déclaré que les profs de la FP devront faire preuve de flexibilité et enseigner les soirs et les fins de semaine.
« Ce sera quasi impossible! Ces futurs profs ne pourront pas enseigner à temps plein, travailler de soir et les fins de semaine et poursuivre leurs études. Sans compter que compléter un tel diplôme à temps partiel, soit les soirs et les fins de semaine, peut leur prendre facilement jusqu'à 10 ans. Les enseignantes et enseignants n'ont pas encore le don d'ubiquité! C'est aussi oublier que plusieurs profs ont eux-mêmes des enfants ou des parents âgés dont ils doivent s'occuper. L'on doute fort qu'ils répondent à l'appel du ministre Drainville », pointe madame Hubert.
En avril 2022, le salaire d'un prof de la FP au Québec se situait entre 53 541 $ et 92 027 $ par année. De plus, le salaire moyen d'une personne comptant neuf ans années d'expérience en enseignement est de 65 489 $ en avril 2022. Or, selon l'Enquête Relance au secondaire en FP publiée en 2019 (diplômés de 2017-2018), une douzaine de formations les plus payantes au Québec offrent un salaire plus élevé que le salaire moyen d'un prof au Québec. Pour des métiers plus rares en construction, comme dynamiteur, il n'est pas rare que les travailleurs et travailleuses gagnent jusqu'à 150 000 $ par an. C'est sans compter que ces chiffres datent de 2019 et que plusieurs secteurs de l'économie ont connu hausse des salaires de la dernière année en raison de l'inflation.
Dans son intention de moderniser la FP, le gouvernement Legault souhaite élargir et renouveler l'offre de FP. Face à l'urgence, comme pour le secteur de la santé pendant la pandémie, s'agira-t-il de formations courtes uniquement?
« Les formations doivent être qualifiantes afin d'être transférables d'un milieu à l'autre. Par exemple, l'AEP Soutien aux soins d'assistance en établissement de soins de longue durée, mis en place pendant la pandémie, limite l'exercice de cette profession aux CHSLD. Ce genre de solutions n'est pas viable à long terme si l'on souhaite des travailleuses et travailleurs compétents, polyvalents et libres de travailler dans n'importe quelle organisation. Qui plus est, les employeurs doivent résister à la tentation de former des employées et employés "maison" qui pourraient ne pas remplir ces critères », mentionne madame Hubert.
De plus, actuellement, certaines formations accélérées se donnent sur de plus longues journées, sans semaine de relâche et heure de dîner, etc., comme le programme SASI (Santé, assistance et soins infirmiers). Les élèves ont moins de temps pour assimiler la matière et les profs s'épuisent plus rapidement. « Combien de temps un prof peut-il soutenir ce rythme sans en payer le prix par rapport à sa santé? La FAE doit s'assurer que les dispositions de la convention collective continuent d'être respectées, malgré la pénurie dans de nombreux secteurs. Les moyens mis en place ne doivent pas accentuer la pénurie en enseignement », défend madame Hubert.
« Dans ces circonstances, le plan du ministre Drainville permettra-t-il de diplômer des personnes compétentes? Poser la question, c'est y répondre. La FAE veut bien adhérer à l'idée que l'on doive former plus rapidement les élèves, mais certainement pas au détriment de la qualité des formations, de la santé mentale et physique de ses membres, mais aussi, au détriment de l'avenir des élèves qui ne deviennent pas que des travailleuses et travailleurs en fréquentant l'école publique, mais bien des citoyennes et des citoyens éclairés et émancipés », poursuit-elle.
Pour connaître quelques-unes des solutions de la FAE en FP, rendez-vous au https://www.lafae.qc.ca/public/Cahier-demandes-sectorielles-fae-nego-2023.pdf
La FAE regroupe neuf syndicats qui représentent plus de 60 000 enseignantes et enseignants du préscolaire, du primaire, du secondaire, de l'enseignement en milieu carcéral, de la formation professionnelle, de l'éducation des adultes et le personnel scolaire de l'École Peter Hall et du Centre académique Fournier, ainsi que 2 600 membres de l'Association de personnes retraitées de la FAE (APRFAE). Elle est présente dans les régions de Montréal, de la Capitale-Nationale, de Laval, de l'Outaouais, des Laurentides, de l'Estrie et de la Montérégie, où se situent les quatre plus grands pôles urbains du Québec.
SOURCE Fédération autonome de l'enseignement (FAE)
Marie-Josée Nantel, conseillère aux communications, [email protected], 514 709-7763
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