Des préposé∙e∙s aux bénéficiaires migrant∙e∙s déplorent les conditions misérables et le manque de protection
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Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI)10 avr, 2022, 09:30 ET
MONTRÉAL, le 10 avril 2022 /CNW Telbec/ - Appelé∙e∙s en renfort dans un contexte de la pandémie, des préposé∙e∙s aux bénéficiaires migrant∙e∙s témoignent de conditions de travail misérables et abusives et demandent des changements urgents au gouvernement fédéral et à celui du Québec. L'actuel débat sur la réforme du système de santé doit absolument les inclure.
Dès le début de la pandémie, les conditions de travail des préposé∙e∙s aux bénéficiaires ont fait couler beaucoup d'encre dans les médias, marquées souvent tant par l'instabilité d'emploi et la faible rémunération que par la surcharge du travail. Beaucoup de demandeur∙euse∙s d'asile ont comblé ces postes « essentiels » face à la dite « pénurie de main-d'œuvre », et nombre d'entre eux/elles ont été embauché∙e∙s par l'entremise d'agences de placement. En même temps, le gouvernement du Québec a promu le recrutement des préposé∙e∙s par le biais du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), appel suivi par des établissements publics et privés à Montréal, de même qu'en région. Le nombre de permis de travail émis à des préposé∙e∙s dans le PTET a ainsi bondi de 15 en 2019 à 170 en 2020, pour passer à 380 en 2021, selon les données du gouvernement fédéral.
Les préposé∙e∙s aux bénéficiaires embauché∙e∙s via le PTET vivent des conditions de travail très difficiles et discriminatoires, voire de l'exploitation, faute de mesures de protection convenables. Les expériences horribles vécues par des travailleur∙euse∙s migrant∙e∙s dans une résidence privée, Villa mon domaine à Lévis, déjà largement médiatisées le mois dernier, illustrent ces lacunes dans la protection des droits. Même après une enquête de Service Canada dans cette résidence en octobre 2021, l'employeur a fait travailler trois nouvelles personnes migrantes sans salaire ni permis de travail, recrutées avec une fausse promesse, selon une information récemment obtenue par le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI). Subsistant avec des sommes dérisoires, elles devaient s'occuper d'une soixantaine de résident∙e∙s, dans des conditions de travail misérables et sous la menace d'une déportation, dans l'espoir d'obtenir un permis de travail et de s'installer au Québec.
Dans bien d'autres établissements, les conditions de travail ne sont pas nécessairement favorables. Selon une vingtaine de témoignages obtenus par le CTTI, les problèmes suivants sont fréquemment constatés :
- Frais indûment chargés aux travailleur∙euse∙s : frais de recrutement et frais gouvernementaux pour l'Évaluation de l'impact sur le marché du travail (EIMT) (les deux types de frais doivent être payés par l'employeur);
- Salaires non payés : salaires pendant la période de quarantaine (l'employeur doit payer au moins les salaires hebdomadaires pour 30 heures) et salaires pour les heures supplémentaires payées au taux horaire normal;
- Congés de maladie refusés par l'employeur et accidents de travail non déclarés;
- Propos racistes et menace de déportation.
Force est de constater que ces problèmes sont aussi entraînés par les lacunes des mesures publiques. D'abord et avant tout, le permis de travail associé à un seul employeur (permis fermé) accorde un pouvoir excessif aux employeurs, laissant à leur merci le sort de travailleur∙euse∙s. Même lorsque des abus lui sont signalés, Emploi et Développement social Canada (EDSC) ne procure pas les mesures de protection nécessaires aux victimes, et ses enquêtes apportent rarement des changements dans leurs conditions. Le processus administratif complexe de la Commission des normes, de l'équite, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) décourage souvent des travailleur∙euse∙s de poursuivre leurs plaintes. De plus, malgré l'entrée en vigueur au Québec en janvier 2020 du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, de nombreux recruteurs continuent de le contourner, notamment par le biais d'un bureau qui siège à l'étranger.
Les travailleur∙euse∙s sont vivement préoccupé∙e∙s, car les mesures de protection de leurs droits ne sont aucunement améliorées alors que les conditions du programme entraînent des abus. Le gouvernement fédéral a proposé en juillet 2021 des modifications du règlement portant sur les travailleurs étrangers temporaires, qui ne sont pas encore en vigueur, mais elles sont loin d'être suffisantes selon le CTTI. À la suite de l'entente Québec-Ottawa « pour faciliter la venue et l'embauche des travailleurs étrangers temporaires », signée en août 2021, et du Plan d'action pour les employeurs et la main-d'œuvre du PTET, annoncé le 4 avril 2022 par le gouvernement fédéral, le nombre des travailleur∙euse∙s migrant∙e∙s s'accroîtra au cours des prochaines années.
« C'était un cauchemar, le travail à Villa mon domaine. Le travail dur et dangereux, sans un vrai salaire… Mais j'avais peur de perdre mon emploi et d'être éventuellement déporté du Canada. »
- François (nom d'emprunt),
préposé aux bénéficiaires migrant, ancien employé de Villa mon domaine
« Grâce à un permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, valide seulement pour un an, je pouvais quitter un employeur abusif. Mais en cherchant un nouvel emploi, je devais faire face à plusieurs employeurs abusifs, qui m'ont exploité avec une fausse promesse ou m'ont demandé de payer les frais de l'EIMT. »
- Julie (nom d'emprunt),
préposée aux bénéficiaires migrante
« On a crié au scandale dans le cas de la Villa mon domaine, et c'est bien, parce qu'effectivement c'était inacceptable. Mais si on regarde les choses en réalité, ce n'est qu'un cas parmi plusieurs autres. C'est le résultat d'un système qui crée les conditions pour qu'une telle chose se produise. »
- Raphaël Laflamme,
organisateur communautaire au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants
« Les cas de réposé∙e∙s du PTET en RPA que j'ai documentés font état de graves violations des droits humains s'apparentant à une forme de semi-esclavage. Les conditions du PTET les induisent car elles se fondent sur le travail non libre. »
- Louise Boivin,
professeure à l'Université du Québec à Outaouais
« Il faut que toute personne qui travaille au Québec, quel que soit son statut (travailleur étranger temporaire, demandeur d'asile, réfugié, résident non permanent, etc.) puisse bénéficier de conditions de travail décentes. »
- Ramatoulaye Diallo,
trésorière au Conseil central du Montréal métropolitain-CSN
SOURCE Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI)
Cheolki Yoon (CTTI) : 438 837-7067, [email protected]
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