Enquête indépendante sur l'événement survenu à Akulivik le 4 mars 2022 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 4 avril 2023 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police du Nunavik (SPN).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Akulivik le 4 mars 2022 entourant le décès d'une femme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 4 mars 2022, à 14 h 24, deux policiers du SPN se rendent à la coop d'Akulivik pour acheter un repas. À l'intérieur, les policiers remarquent une femme qui a l'air en état d'ébriété. L'un des policiers discute avec elle. Il remarque qu'elle a les yeux brillants et qu'une forte odeur d'alcool se dégage de son haleine. Il l'informe qu'il va la raccompagner chez elle puisqu'elle est en état d'ébriété dans un lieu public. Il l'amène au véhicule de patrouille et l'installe à l'arrière. Il ne la fouille pas puisque l'intention est seulement de la conduire chez elle. Son collègue remarque que la femme a de la difficulté à marcher.
Le policier retourne à l'intérieur de la coop pour payer ses achats. Lorsqu'il revient au véhicule de patrouille, la femme est en train de boire une bière. Il procède alors à son arrestation pour avoir été en ébriété dans un endroit public. Il agit de la sorte pour mettre fin à l'infraction.
Il observe alors un homme de l'autre côté de la rue qui est possiblement en train de commettre une infraction. Son collègue le rejoint et les deux policiers interviennent auprès de l'homme.
Environ cinq minutes plus tard, ils reviennent au véhicule de patrouille. Le premier policier observe à nouveau la femme en train de boire de l'alcool. À partir de ce moment, il la surveille pour s'assurer qu'elle ne boive plus.
Les deux policiers prennent place dans le véhicule de patrouille et se dirigent vers le poste de police. Le premier policier discute et blague avec la femme pendant le trajet.
La femme riait et souriait lors de l'arrivée au poste. Elle collabore bien et le premier policier l'escorte à l'intérieur. Elle marche par elle-même, mais a du mal à garder son équilibre et doit être tenue par le policier. Elle ne se plaint d'aucune douleur et semble en forme.
À 14 h 35, elle est placée dans une cellule où se trouvent deux autres détenues.
Des procédures et pratiques policières prévoient qu'une personne doit toujours être présente au poste pour assurer la surveillance des détenus et qu'un rapport de surveillance doit être rempli. Une ronde doit être faite au minimum toutes les 15 minutes. Elle doit se faire plus fréquemment si l'état des détenus le nécessite.
La journée du 4 mars 2022, les deux policiers sont responsables de la surveillance, ainsi qu'une travailleuse sociale à certains moments de la journée. La preuve démontre qu'à plusieurs reprises durant les heures qui suivent la mise en détention de la femme, les policiers se rendent dans le bloc cellulaire, par exemple pour y placer d'autres détenus. Néanmoins, aucune preuve ne fait état de la fréquence à laquelle les policiers ont observé la femme ni ce qu'ils auraient observé relativement à son état.
Les autres détenues étaient endormies et ne peuvent pas témoigner à ce sujet. L'une d'elles a vu la femme couchée sur le ventre, par terre, mais la preuve ne permet pas de déterminer avec exactitude à quel moment cette observation a été faite.
À 19 h 32, une autre détenue est placée dans la cellule avec la femme. Elle croit que la femme dort. Elle est couchée sur le ventre, directement sur le sol. Elle essaie de la réveiller, mais n'y arrive pas. Ce faisant, elle la retourne. La femme a les lèvres mauves et une marque rouge sur le front.
À 19 h 36, cette détenue interpelle un policier qui est en train de donner de l'eau aux détenus de la cellule avoisinante. Elle lui dit qu'elle croit que la femme est en train de mourir. Il va allumer les lumières de la cellule et regarde par la fenêtre. Il voit la femme couchée au sol sur le dos. Du liquide couvre son visage et ses cheveux. Une de ses mains est très pâle.
Il appelle ses deux collègues qui viennent de quitter le poste. Ceux-ci font immédiatement demi-tour. Il appelle aussi la clinique et demande d'envoyer les premiers répondants. L'infirmier répond qu'il ne croit pas qu'ils soient disponibles.
De retour au poste, les deux policiers se dirigent à la course à la cellule et en sortent la femme. Deux des policiers se relaient pour faire les manœuvres de réanimation. Entre-temps, une personne de la clinique rappelle pour confirmer que les premiers répondants ne sont pas disponibles et que les policiers doivent donc transporter eux-mêmes la femme. Deux des policiers s'exécutent pendant que le troisième reste au poste. Un la prend par les bras et l'autre par les jambes. Ils la placent à l'arrière du véhicule de patrouille.
À la clinique, les deux policiers continuent de se relayer pour les manœuvres de réanimation et pour aider les infirmiers. Vers 20 h, une infirmière appelle le médecin qui décide de demander l'arrêt des manœuvres. Le décès est constaté.
Le rapport d'autopsie conclut à l'absence de lésion traumatique pouvant expliquer le décès. Le rapport de toxicologie révèle une concentration élevée d'alcool dans le sang, soit 386 mg/100 ml, qui est suffisante pour expliquer le décès. Le pathologiste conclut que le décès est attribuable à une intoxication alcoolique aiguë avec ou sans composante de suffocation.
Analyse du DPCP
La preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont fait preuve de négligence criminelle causant la mort.
En matière de négligence criminelle, il est interdit à une personne d'accomplir un geste ou d'omettre de poser un geste que la loi exige qu'il pose, lorsque cela montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.
La simple négligence dans l'accomplissement d'un acte, ou le fait de ne pas remplir une obligation imposée par la loi, sont toutefois insuffisants pour conclure à la négligence criminelle. La conduite doit représenter « un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnablement prudente », en l'occurrence, un policier placé dans la même situation, distinguant ainsi la faute civile de la faute criminelle.
Par ailleurs, la négligence criminelle ne constitue pas une infraction autonome. La négligence, pour être de nature criminelle, doit conduire à la mort ou à des lésions corporelles. De plus, toute forme de contribution à la mort ou aux lésions corporelles n'est pas criminelle. Pour être punissables, les gestes ou les omissions doivent avoir contribué de façon appréciable, c'est-à-dire plus que mineure aux lésions corporelles ou encore au décès d'une autre personne.
L'analyse de l'ensemble de la preuve au dossier d'enquête révèle que, malgré son état d'ébriété, la femme semblait en forme lors de son arrivée au poste de police. Elle titubait et avait besoin du policier pour maintenir son équilibre, mais marchait par elle-même. Elle discutait avec les policiers. À ce moment, rien ne laissait croire qu'une intervention médicale était nécessaire.
Relativement au temps passé en cellule, aucune preuve n'existe sur l'état de la femme. La preuve révèle que les policiers sont allés à plusieurs reprises dans le bloc cellulaire. Cependant, il y a une absence de preuve sur les constatations ou les vérifications qui auraient été faites relativement à la femme. Dans ces circonstances, la preuve ne permet pas de tirer de conclusions sur le caractère adéquat ou non de la surveillance de la femme.
À 19 h 36, dès que les policiers ont été alertés de l'état de santé de la femme par une autre détenue, ils ont réagi promptement pour lui porter secours.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve disponible ne permet pas de conclure à la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPN impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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