Enquête indépendante sur l'événement survenu à Montréal le 19 novembre 2023 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 18 oct. 2024 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
L'analyse portait sur l'événement entourant les blessures subies par un homme à Montréal le 19 novembre 2023.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a informé un proche de la personne blessée des motifs de la décision.
Événement
Le 19 novembre 2023 vers 2 h 03, un homme contacte le 911 concernant un homme se trouvant à l'extérieur, devant une résidence et qui s'inflige des blessures au cou avec un couteau.
Vers 2 h 09, deux policiers arrivent sur les lieux et voient un homme ayant un saignement au cou et tenant un couteau. L'homme mentionne aux policiers à quelques reprises : « shoot me ». Il s'avance vers les policiers qui le somment de lâcher son couteau. L'arme à impulsion électrique (AIE) est utilisée en direction de l'homme en mode projection. Celui-ci est atteint et tombe à genoux. Il se relève puis arrache les sondes. Le policier déploie de nouveau l'AIE et atteint l'homme qui tombe et se relève aussitôt ayant toujours le couteau dans sa main. L'autre policier, voyant que l'homme se dirige vers son collègue, lui crie en anglais de lâcher son arme. L'homme pointe alors son couteau en sa direction et crie « Shoot me, shoot me! ».
Une demande d'assistance est faite afin d'obtenir l'arme intermédiaire d'impact à projectiles (AIIP)1 ainsi qu'une autre AIE. Un second duo de policiers arrive sur les lieux en véhicule de patrouille. En plus de ses blessures au cou, l'homme semble à ce moment blessé à la poitrine. L'un des policiers tente de raisonner l'homme et lui indique qu'ils ne veulent pas le tirer et veulent lui venir en aide. L'homme se rapproche d'eux. L'un des policiers utilise alors l'aérosol capsique en direction du visage de l'homme, sans succès.
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1 L'arme intermédiaire d'impact à projectiles (AIIP), aussi appelé 40 millimètres, est une arme à feu en vertu du Code criminel et a la capacité de tirer des projectiles contondants dans le but de créer une incapacité physique temporaire et susceptible de causer des lésions corporelles graves ou la mort. |
Un duo de policiers du Support d'intervention spécialisé (SIS) en déplacement vers les lieux arrive en véhicule de patrouille en ayant déjà l'information que l'AIE a été inefficace. Un premier tir d'AIIP atteint la cuisse droite de l'homme qui semble ressentir une légère douleur. Voyant qu'il n'obtempère toujours pas aux ordres de lâcher son arme, un second tir d'AIIP est fait à la même cuisse. Un autre policier déploie l'AIE à deux reprises, mais l'homme continue à avancer vers les policiers en tenant toujours son couteau à la main et en continuant de crier « Shoot me! ». Devant cette menace, un autre projectile d'AIIP est alors tiré, cette fois au thorax de l'homme. Ce dernier n'obtempère toujours pas aux ordres de lâcher son couteau et un 4e tir est effectué également au thorax.
L'homme se déplace vers le trottoir côté ouest. Profitant d'un moment où l'homme regarde ailleurs, le policier qui avait utilisé l'AIIP réussit à asperger le visage de l'homme avec l'aérosol capsique. Ce dernier semble se calmer. Ce policier tente des techniques de désescalade de l'agressivité en s'adressant à l'homme et lui mentionne qu'il est là pour lui venir en aide. Après une courte discussion, l'homme dépose son couteau sur le pare-brise d'un véhicule mais refuse de s'éloigner.
Puisque l'homme demeure menaçant pour la sécurité des policiers et certains citoyens à l'extérieur, les policiers conviennent d'un plan d'intervention afin qu'un projectile de AIIP et une projection d'AIE soient tirés simultanément sur l'homme afin de l'éloigner du couteau. Ainsi, deux projectiles de l'AIIP tirés par deux policiers atteignent l'homme au niveau des cuisses et l'AIE est déployée en sa direction. Ce dernier est ensuite maîtrisé au sol à l'aide d'un bouclier inversé et rapidement pris en charge par les ambulanciers se trouvant déjà sur les lieux. Il est transporté dans un centre hospitalier pour traiter ses blessures.
Certaines vidéos filmées par des citoyens permettent de constater le comportement de l'homme et de voir des séquences de l'intervention, dont celles relatives aux premières utilisations de l'AIE et de l'AIIP.
L'homme n'a pas souhaité collaborer avec le BEI; il a donc été impossible d'obtenir une déclaration de sa part relativement à l'intervention policière ou quelque information quant à son état de santé.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'alinéa 25(3) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, l'intervention était légale et se fondait initialement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer la sécurité et la vie des personnes. Les policiers devaient maîtriser l'homme armé en crise afin qu'il ne s'inflige davantage de blessures. Toutefois, en s'avançant armé d'un couteau vers les policiers et en refusant de le lâcher, en plus de demander que les policiers fassent feu en sa direction, l'homme est devenu menaçant, son comportement s'apparentant à un suicide par policier interposé. Phénomène documenté, le suicide par policier interposé consiste à se comporter de manière menaçante envers un policier afin de provoquer le recours à l'arme à feu.
Par ailleurs, l'utilisation de l'AIE et de l'aérosol capsique était en l'espèce une option nécessaire et raisonnable pour tenter de mettre fin à la menace qui visait les policiers.
Par la suite, considérant qu'ils faisaient toujours face à une attaque imminente possible en raison du fait que l'homme n'obtempérait pas aux ordres de lâcher son couteau et continuait à s'approcher d'eux en demandant de faire feu en sa direction, les policiers avaient des motifs raisonnables d'estimer que l'utilisation de l'AIIP sur les cuisses et ensuite au thorax de l'homme était nécessaire pour leur protection et celle des citoyens contre des lésions corporelles graves ou la mort.
Enfin, pour protéger la vie de tous, l'utilisation simultanée des diverses armes par les policiers était elle aussi nécessaire et raisonnable dans les circonstances.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les policiers était justifié en vertu de l'article 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPVM dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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