Enquête indépendante sur l'événement survenu à Montréal le 21 août 2018 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 14 déc. 2021 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ayant pris part à l'intervention.
L'analyse portait sur l'événement entourant le décès d'un homme survenu le 21 août 2018 à Montréal.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié le 29 octobre 2019 à un comité de trois procureurs aux poursuites criminelles et pénales. Ces derniers ont procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles.
Dès l'automne 2019, certaines demandes de complément d'enquête ont été faites par le comité au BEI. Par la suite, des expertises ont été sollicitées par le DPCP et le dernier rapport d'expert nous fut transmis à la fin du mois d'août 2021.
Les proches de la personne décédée ont été rencontrés par deux procureurs ayant participé à l'analyse du dossier afin de les informer des motifs de la décision.
Événement
Le 21 août 2018 à 20 h 16, un appel est fait au service 911 par une citoyenne qui signale une bagarre entre deux hommes dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal.
Deux policiers sont dépêchés sur place. Ils sont à bord d'un véhicule de patrouille dûment identifié. Une fois dans le secteur, ils ne repèrent pas les hommes. Puis, alors que leur véhicule arrive à basse vitesse à une intersection, un homme fracasse d'un coup de poing la vitre côté passager du véhicule de police. À l'insu des policiers, l'homme tient un couteau dans ses mains et c'est en frappant avec le bout du manche de ce couteau que la vitre se fracasse. L'homme entre une partie de son corps par la vitre et essaie de s'emparer de l'arme de service d'un des policiers, tout en proférant des menaces de mort à leur endroit.
Les policiers s'éloignent. Une fois la menace hors de portée immédiate, ils immobilisent le véhicule et en sortent. Ils constatent alors que l'homme, toujours menaçant, est armé d'un couteau. Il avance vers les policiers, puis recule à quelques reprises. S'ensuit une demande de renfort. Les deux agents suivent l'homme à pied tout en lui demandant de laisser tomber son couteau.
Devant le refus de ce dernier, l'arme à impulsion électrique (AIE) est utilisée à deux reprises par un des agents. La première décharge atteint l'homme et le projette au sol. Il se relève toutefois et continue de braver les policiers, leur disant notamment « shoot me ». Il continue de tenir des propos menaçants en conservant son couteau à la main. La seconde tentative d'utilisation de l'AIE sera vaine.
En suivant ses déplacements sur la rue, les policiers continuent de demander à l'homme de s'arrêter et de ne plus bouger. Alors que ce dernier se trouve aux abords de la voiture de police immobilisée sur la rue, et craignant qu'il quitte avec le véhicule puisque le moteur est en marche et le véhicule accessible, un des deux agents tente d'atteindre l'homme avec un jet de poivre de Cayenne. La manœuvre ne réussit pas, vraisemblablement à cause de la distance qui sépare l'agent de l'homme.
Un troisième policier arrive sur place. Il se joint à ses collègues pour former une demi-lune qui suit l'homme à mesure qu'il se déplace sur la rue.
L'homme s'intéresse brièvement à une voiture civile qui s'est immobilisée au milieu la rue. Les policiers demandent au conducteur de circuler et ce véhicule quitte la scène. Les policiers demandent ensuite à l'homme de demeurer immobile.
L'homme continue de circuler sur la rue avec son couteau en main. Il avance vers l'un des trois policiers qui marche à reculons. Les trois policiers ont maintenant dégainé leur arme à feu. Le policier vers qui l'homme avance se retrouve pratiquement adossé à une voiture. Il n'est plus en mesure de reculer davantage.
Au même moment, l'un des autres agents intime à l'homme de s'arrêter en criant à cinq reprises. L'homme continue néanmoins à s'approcher de l'agent adossé au véhicule et qui ne peut reculer davantage. Alors que l'homme se trouve à moins de quatre mètres du policier coincé, l'agent qui implorait l'homme de s'arrêter fait feu à cinq reprises dans une séquence de tirs qui dure moins de cinq secondes.
L'homme est atteint par trois des cinq balles, mais c'est le premier des trois impacts qui s'avérera fatal. Il demeure toutefois en possession du couteau jusqu'à ce qu'il s'effondre au sol, soit immédiatement après le cinquième tir. Les policiers s'en approchent et l'un d'eux pousse le couteau hors de sa portée. Des manœuvres de réanimation sont entreprises, en vain.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'article 25 du Code criminel sont remplies.
Le paragraphe 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
Le paragraphe 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision, en tout temps.
Dans ce dossier, l'intervention était légale et se fondait principalement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer, dès les premiers instants jusqu'à la fin de la séquence de tirs, la sécurité de leurs collègues ainsi que celle des citoyens sous leur protection.
La force fut essentiellement déployée en quatre temps. Tout d'abord, la première utilisation de l'AIE s'avérait justifiée à la lumière de l'attaque initiale de l'homme, pendant laquelle il a fait éclater une vitre de l'autopatrouille et tenté de s'emparer de l'arme de service d'un policier, une attaque que les policiers n'ont nullement provoquée. Il y a aussi lieu de tenir compte des propos menaçants de l'homme, de son ignorance des demandes de se départir de son couteau ainsi que d'un avertissement qui lui fut servi avant l'emploi de l'AIE. Il en va pareillement de la seconde utilisation de l'AIE à la lumière des effets insuffisants de la première décharge.
La troisième séquence, soit celle du jet de poivre de Cayenne, est elle aussi justifiée vu l'échec de demandes verbales des policiers et des premières interventions avec l'AIE. Il va sans dire que l'homme pouvait aussi, à ce moment, monter à bord du véhicule en marche et s'en servir de manière à compromettre la sécurité des agents ou du public.
Quant à la quatrième séquence, considérant toujours l'importance de l'attaque initiale de l'homme sur les policiers, la dangerosité de celle-ci, les menaces et bravades de l'homme, le danger imminent auquel les policiers faisaient face, l'arme tenue par l'homme, la proximité de ce dernier avec l'agent pris en souricière, son imprévisibilité, son défaut d'obtempérer aux nombreuses demandes verbales lui demandant de se rendre et d'abandonner son couteau ainsi que l'inefficacité des armes intermédiaires à la disposition des policiers, le policier qui a fait feu avait des motifs raisonnables d'estimer que l'emploi de son arme de service à l'endroit de l'homme était notamment nécessaire pour la protection du collègue adossé à un véhicule, mais aussi pour leur propre protection contre des lésions corporelles graves ou la mort. De plus, cette force s'avérait proportionnelle à la menace que l'homme représentait à ce moment. Bien que l'homme ait dévié de sa trajectoire initiale pendant la séquence de tirs, celui-ci n'a jamais obtempéré aux demandes de cesser de se déplacer et de se départir de son couteau ni cessé de présenter une menace sérieuse pour la sécurité des agents et du public. Enfin, les tirs ont cessé dès qu'il fut clair que l'homme avait été atteint.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les agents de la paix était justifié en vertu de l'article 25 du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'un acte criminel par le policier du SPVM qui a employé son arme de service pour protéger sa vie et celle de ses collègues.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
AVERTISSEMENT Une vidéo démontrant les derniers instants de l'intervention policière circule dans les médias sociaux. Le DPCP tient à rappeler que son analyse repose sur un examen complet de la preuve soumise qui porte sur l'entièreté de l'intervention policière. |
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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