Enquête indépendante sur l'événement survenu à Terrebonne le 18 août 2021 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 30 juin 2022 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Saint-Eustache et du Service de police de la Ville de Terrebonne.
L'analyse portait sur l'événement survenu à Terrebonne le 18 août 2021 à la suite duquel le décès d'un homme a été constaté le 31 août 2021.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si, à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 18 août 2021, à Laval, peu après 11 h 25, plusieurs appels sont faits au 911 concernant un homme qui a un comportement erratique. Tenant des propos paranoïaques, il tente d'entrer dans les voitures de deux femmes avant de s'accrocher aux barres qui se trouvent sur le toit du véhicule de l'une d'elles. Apeurée, elle conduit jusqu'au stationnement d'un commerce. Il est alors environ 11 h 32. L'homme descend immédiatement et ouvre la porte côté conducteur d'une autre voiture dans laquelle se trouve un homme âgé. L'homme pousse l'homme âgé pour pouvoir prendre place côté conducteur. Il démarre en trombe, l'homme âgé se trouvant toujours dans le véhicule.
De nombreux appels au 911 sont faits entre 11 h 54 et 12 h 02 au sujet de la conduite dangereuse d'un véhicule sur l'autoroute 640, qui s'avère celui conduit par l'homme. Il circule d'abord sur l'autoroute 640 est avant d'emprunter le terre-plein pour se retrouver sur l'autoroute 640 ouest, mais cette fois à contresens. Il roule très rapidement et perd le contrôle du véhicule, qui s'immobilise sur le terre-plein, à proximité de la sortie Chemin des Anglais. Plusieurs autres véhicules s'arrêtent aussi. L'homme âgé sort du véhicule et une femme vient s'assurer qu'il se porte bien.
L'homme sort aussi de la voiture et se dirige vers un premier camion sur lequel il monte avant de se diriger vers un autre camion dont il agresse le conducteur.
Il court ensuite vers un véhicule utilitaire sport (VUS) blanc qui circulait lentement et s'agrippe à la fenêtre, ce qui force le véhicule à s'arrêter. Il tente de s'y introduire puis monte sur le capot et ensuite sur le toit. Il se met à frapper à grands coups sur le toit ouvrant. La conductrice est paniquée.
Voyant cette situation, plusieurs personnes interviennent spontanément et encerclent le VUS. Parmi elles se trouve un policier de Saint-Eustache qui n'est alors pas en service. Il s'inquiète pour la sécurité de la femme dans le VUS ainsi que pour celle de l'homme et des autres personnes présentes dans le cas où des gens non formés en intervention tenteraient de le maîtriser.
Il s'identifie comme policier auprès de l'homme et lui ordonne de descendre du toit du VUS, sans succès. Il observe que l'homme a de l'écume à la bouche, qu'il est agité et qu'il tremble. L'ensemble des témoins présents rapportent que l'homme tient des propos incohérents. À une reprise, il menace les personnes présentes de les tirer et fait mine de saisir une arme à l'arrière de son dos. Sa menace n'est pas prise au sérieux puisqu'il n'est vêtu que d'un chandail et d'un sous-vêtement, ce qui permet de voir qu'il n'est pas armé.
Un autre citoyen présent va chercher une perche et s'en sert pour donner des petits coups à l'homme et ainsi le déstabiliser.
Éventuellement, l'homme se retrouve à genoux sur le toit du VUS. Le policier saisit alors un de ses bras. Un citoyen saisit l'autre bras et, du côté opposé du véhicule, des hommes saisissent ses jambes. Ensemble, ils le font alors glisser vers l'arrière de la voiture et le déposent au sol. Jamais l'homme ne s'est cogné ni n'a reçu de coups pendant cette manœuvre.
Le policier applique alors un contrôle articulaire du poignet de l'homme et le maintient dans son dos. Il place son genou sur l'épaule de l'homme, mais sans y mettre de poids. Les autres membres de l'homme sont chacun maintenus au sol par des citoyens qui témoignent que l'homme continue à se débattre, mais qu'il se calmera éventuellement.
Environ deux minutes après que l'homme ait été amené au sol, deux policières du Service de police de la Ville de Terrebonne arrivent en courant sur les lieux. Dès qu'elles sont à proximité, un citoyen leur dit qu'il faudra une ambulance. L'une des policières menotte l'homme qui est mis en position latérale. C'est alors qu'elle remarque qu'il a le teint très pâle, presque blanc, les lèvres bleues et le regard vide. Elle enlève immédiatement un bracelet de menotte et met l'homme sur le dos. Une ambulance est demandée. Les autres personnes encore présentes s'écartent. Une policière commence les manœuvres de réanimation. Elles demandent un défibrillateur à un autre policier qui arrive sur les lieux. Ils se relaient, avec d'autres policiers qui arrivent, pour les manœuvres et installent le défibrillateur dès qu'il est apporté. Les manœuvres continuent jusqu'à ce que les ambulanciers arrivent et prennent le relais, environ 20 minutes plus tard.
L'homme est amené à l'hôpital, où il décède 13 jours plus tard. Des tests conduits alors qu'il est hospitalisé permettent de détecter la présence d'éthanol et de cocaïne dans son sang. Compte tenu des informations fournies par l'hôpital, le pathologiste qui a conduit l'autopsie conclut que la cause du décès est une réaction fatale ou une intoxication à la cocaïne, compliquée d'un arrêt cardio-respiratoire et des complications de cet arrêt.
La presque totalité des événements a été filmée, soit par des caméras de surveillance, des caméras véhiculaires de camion, ou par des citoyens avec leurs téléphones cellulaires. Les images captées confirment essentiellement la teneur des déclarations de l'ensemble des témoins ainsi que celles des policiers.
Analyse du DPCP
L'intervention était légale. L'article 48 de la Loi sur la police prévoit que les policiers ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime.
L'intervention du policier de Saint-Eustache se fondait principalement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer la sécurité et la vie des personnes. Le policier pouvait intervenir considérant le danger pour la sécurité de la conductrice du VUS, ainsi que pour l'homme ou d'autres citoyens présents si quelqu'un d'autre tentait d'intervenir incorrectement, ce qui aurait pu mener à une confrontation avec l'homme.
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'article 25(1) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
La preuve révèle que le policier de Saint-Eustache a demandé à plusieurs reprises à l'homme de descendre du VUS, sans que celui-ci obtempère. Compte tenu des circonstances, le policier avait des motifs raisonnables d'estimer qu'il était nécessaire de maîtriser physiquement l'homme pour empêcher la poursuite du comportement dangereux. Bien qu'il n'ait pas agi en ce sens, il pouvait aussi arrêter sans mandat l'homme qu'il a trouvé en train de commettre une infraction criminelle (méfait) car un policier qui n'est pas en fonction possède les pouvoirs d'un agent de la paix. Le policier n'a appliqué que la force nécessaire pour faire descendre l'homme du VUS et contrôler son bras, ainsi qu'empêcher qu'il se relève.
Compte tenu de la situation qui s'offrait à elles à leur arrivée ainsi que des informations préalables qui leur avaient été communiquées, il était raisonnable pour les policières de Terrebonne de menotter l'homme. Cela n'a par ailleurs duré que quelques secondes et le reste de leur intervention avait pour unique but de lui porter secours.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Saint-Eustache et du Service de police de la Ville de Terrebonne impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, quebec.ca/gouv/dpcp
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