Des juristes experts prônent l'adoption d'une loi-cadre visant à garantir l'indépendance des membres de certains organismes publics
Un condensé de l'étude est disponible sur demande
MONTRÉAL, le 17 févr. 2014 /CNW Telbec/ - Des professeurs-chercheurs des Facultés de droit de l'Université de Montréal (France Houle, Pierre Noreau et Martine Valois) et de l'Université Laval (Pierre Issalys), ont rendu publics aujourd'hui les résultats d'une étude approfondie du statut des décideurs administratifs indépendants. Ces décideurs, membres d'une quinzaine d'organismes publics québécois, tels que la Commission des lésions professionnelles ou la Régie du logement, sont appelés à statuer sur les droits, intérêts ou recours des citoyens en vertu de nombreuses lois. La nature même de cette fonction exige qu'elle soit exercée en toute indépendance. La confiance du public dans la qualité et l'équité de ces décisions en dépend.
Le rapport de ces chercheurs, intitulé La justice administrative : entre indépendance et responsabilité - Jalons pour la création d'un régime commun pour les décideurs administratifs indépendants, examine dans quelle mesure l'indépendance de ces décideurs est garantie. À cette fin, le rapport fait le point sur l'état du droit, tel qu'il ressort de la législation québécoise mais aussi des règles constitutionnelles. Il présente aussi les résultats d'une enquête auprès des décideurs administratifs indépendants eux-mêmes. Enfin, le rapport propose le contenu d'une loi-cadre concernant l'ensemble de ces décideurs et comportant les garanties d'indépendance indispensables à l'exercice de leurs fonctions.
« Le système actuel manque de cohérence et les protections offertes aux décideurs qu'on désigne souvent sous le nom de "juges administratifs" sont généralement insuffisantes, voire archaïques, précisent les auteurs de l'étude. Pourtant, les répercussions des décisions administratives sur la vie des individus sont tout aussi sérieuses que celles des décisions de la justice civile ou criminelle. »
Le rapport de cette étude, menée au cours des 5 dernières années, compte 375 pages et est offert en format électronique au Centre de recherche en droit public : websrv1.crdp.umontreal.ca/depot (Usager : presse, mot de passe : entourage)
La justice administrative : au cœur de la vie démocratique québécoise
Chaque année, plus de 140 000 dossiers sont traités par les 15 principaux organismes publics composés de décideurs administratifs indépendants. Ces décisions touchent des aspects fondamentaux de la vie des Québécois, qu'il s'agisse du coût de l'électricité, d'un accident de la route ou d'un congédiement injustifié.
« Chaque Québécois aura recours au moins une fois dans sa vie aux "tribunaux administratifs" ou sera touché par une décision prise par ces institutions », soulignent les chercheurs. Le citoyen qui fait appel à un «tribunal administratif» doit être assuré que le décideur a les compétences pour rendre la meilleure décision et qu'il peut trancher librement, sans influence ni intervention extérieures, notamment lorsqu'il s'agit de statuer sur un litige mettant en cause un organisme public. Le citoyen doit aussi être assuré que le gouvernement, qui finance ces organismes publics, fait preuve de transparence et de rigueur dans leur gestion et le choix de leurs membres. La nature particulière de ces « tribunaux » exige donc que soit maintenue une distance suffisante entre les décideurs et les pouvoirs, publics ou privés, susceptibles d'avoir un intérêt dans la décision à rendre, tout en préservant la responsabilité du gouvernement à l'égard du bon fonctionnement de ces organismes. Or, l'étude démontre clairement que ni le droit ni les pratiques ne se conforment aujourd'hui à cet objectif.
Des régimes à géométrie variable
L'analyse des textes juridiques montre en premier lieu que ces organismes ne sont pas affranchis de l'influence du pouvoir exécutif. Le gouvernement, sur la proposition d'un ministre, a le pouvoir de choisir et de nommer ces décideurs, d'édicter ou d'approuver les règles concernant leur statut et leur activité et d'approuver le budget mis à leur disposition. Ce contrôle ne permet généralement pas d'intervenir dans une affaire particulière, mais il peut menacer l'indépendance des décideurs de façon plus globale.
Par ailleurs, les nominations, tout comme les renouvellements de mandat et les révocations, ne sont pas toujours effectués sur la base de la compétence, ni avec la rigueur et la transparence requises. Ainsi, pour 9 des 15 organismes étudiés, la loi n'exige aucune compétence particulière et n'impose aucun critère de sélection. C'est que le Québec, à la différence de certaines provinces canadiennes, ne dispose pas d'un régime unifié qui balise le processus de sélection des décideurs, exige de vérifier leur aptitude à exercer leurs fonctions et offre une garantie d'indépendance face à l'État et à toute source extérieure d'ingérence. Les conditions de travail de ces décideurs, leur rémunération, ainsi que leur encadrement déontologique, présentent la même absence d'homogénéité.
Des témoignages alarmants
Les résultats de l'enquête réalisée auprès de 28 décideurs appartenant aux 15 organismes visés par l'étude sont encore plus préoccupants. Certaines situations récurrentes compromettent l'indépendance des décideurs.
Ainsi, l'absence de véritables règles de sélection pour la majorité des organismes étudiés se prête aux influences partisanes, voire au favoritisme. Les propos recueillis révèlent que le gouvernement utilise régulièrement son pouvoir de nomination pour procurer une sinécure à certaines personnes, déplacer ou remplacer des décideurs qui ne sont plus les bienvenus dans leurs fonctions ou offrir un emploi à certaines personnes à la veille d'un changement de gouvernement. D'importants pouvoirs décisionnels sont ainsi confiés à des personnes qui n'ont pas toujours les compétences, la légitimité ou la préparation pour les exercer.
Par ailleurs, il apparaît que le président d'un organisme n'est généralement pas consulté, ni avant la nomination d'un membre de l'organisme, ni même à propos du renouvellement du mandat d'un décideur, alors qu'il est pourtant tenu d'évaluer son rendement et peut donc juger de sa compétence. Mais les pouvoirs du président d'un organisme comportent eux aussi un risque pour l'indépendance des décideurs, notamment le pouvoir de répartir les dossiers, au moyen duquel il peut favoriser certaines orientations dans la décision sur des affaires jugées sensibles.
Enfin, les entretiens avec les décideurs font voir que le Secrétariat aux emplois supérieurs, qui assiste le gouvernement dans l'exercice de son pouvoir de nomination, traite de la même manière les postes de décideur administratif indépendant et ceux d'administrateur d'État ; le processus de nomination n'est donc pas adapté aux exigences propres à la fonction de décideur administratif indépendant.
La nécessité d'une loi-cadre
Au terme de leurs travaux, les chercheurs relèvent en tout premier lieu le caractère à la fois disparate et lacunaire de l'encadrement législatif des décideurs administratifs indépendants. C'est pourquoi, après un examen approfondi des différentes dimensions du problème, ils recommandent de doter les décideurs d'un régime commun et uniforme propre à garantir l'indépendance indispensable à l'exercice de leurs fonctions. Une trentaine de recommandations développent le contenu d'une telle loi-cadre. Cette loi régirait la sélection et la nomination des décideurs administratifs indépendants, la durée et le renouvellement de leur mandat, leur rémunération, leurs conditions de travail, de même que la gestion des organismes où ils exercent leur activité.
Les 15 organismes étudiés
Ces organismes sont : le Bureau de décision et de révision, le Comité de déontologie policière, la Commission d'accès à l'information, la Commission de la fonction publique, la Commission des lésions professionnelles, la Commission municipale du Québec, la Commission de protection du territoire agricole, la Commission québécoise des libérations conditionnelles, la Commission des relations du travail, la Commission des transports du Québec, la Régie des alcools, des courses et des jeux, la Régie de l'énergie, la Régie du logement, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec et le Tribunal administratif du Québec.
Partenaires
La présente étude a été rendue possible notamment grâce au soutien financier de la Fondation du Barreau du Québec, de la Conférence des juges administratifs du Québec, de l'Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles ainsi que du Conseil des tribunaux administratifs canadiens.
SOURCE : Faculté de droit de l'Université de Montréal
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