Lettre ouverte: Dominic Champagne s'adresse au premier ministre du Québec
MONTRÉAL, le 22 avril 2014 /CNW Telbec/ - Voici le texte d'une lettre ouverte:
Monsieur le Premier-Ministre du Québec,
Il y a 40 ans aujourd'hui, le 22 avril 1974, le gouvernement du Québec procédait à l'expropriation de l'Île d'Anticosti, au nom de la défense de l'intégrité du territoire. Depuis ce jour, Québec se considère propriétaire de l'île et de l'ensemble de ses ressources, incluant les ressources «en huile», comme on disait à l'époque[1].
En 1974, Anticosti est la propriété de la forestière Consolidated Bathurst. La coupe de bois n'y étant plus une bonne affaire, «La Consol» a annoncé quelques mois plus tôt aux résidents de Port-Menier la «fermeture de l'île». Puis elle a entrepris des négociations avec le gouvernement du Canada pour s'en départir à bon prix. Peu avant que le fédéral, dont le ministre responsable de Parcs Canada à l'époque est Jean Chrétien, n'en vienne à une entente avec la Consol, dont le principal actionaire est Power Corporation, le gouvernement du Québec a vent de l'affaire. Robert Bourassa fait une offre d'achat à Paul Desmarais qui refuse de vendre à Québec. Alors, dans un geste de défense du Bien commun difficile à imaginer aujourd'hui, Québec décide d'exproprier.
Pour la première fois depuis près d'un siècle, Anticosti devient une terre publique où les citoyens pourront aller librement chasser le chevreuil et pêcher, devenir les propriétaires de leur maison et un peu plus maîtres du territoire qu'ils occupent…
À l'heure du réchauffement climatique, la notion de protection de l'intégrité du territoire prend une nouvelle mesure. Et si nous sommes tous responsables du domaine commun, ce geste de défense des intérêts supérieurs du Québec vous interpelle directement.
Votre gouvernement reprendra-t-il là où le gouvernement de Jean Charest a laissé, en poursuivant l'œuvre de dépossession du bien public, qui favorise le laisser-faire et le désengagement de l'État au profit d'intérêts privés prêts à sacrifier l'intérêt collectif sur l'autel du rendement à leurs actionnaires ?
Ou suivrez-vous la voie tracée par le gouvernement Marois qui, en annonçant la reprise en main par l'État, du moins en partie, de ses ressources collectives, a favorisé le financement d'une exploitation pétrolière qui pourrait non seulement être néfaste à nos finances publiques, à notre économie mais aussi à notre environnement, à l'heure la communauté scientifique nous somme de prendre acte du bouleversement du climat où l'orgie de nos émissions de carbone nous entraîne ?
Ou encore, aurez-vous la sagesse de suivre la voie raisonnable où seront rencontrées les exigences démocratiques et écologiques que nous sommes en droits de poser pour une économie qui soit véritablement viable, porteuse d'une prospérité réelle, pour les citoyens du Québec, et par les gens de Port-Menier.
Il y a 50 ans, dans un extraordinaire effort de volonté politique et suite à un exemplaire exercice de démocratie - qui nous fait assurément défaut présentement, le Québec a fondé sa modernité énergétique selon deux valeurs fondamentales : le partage de la richesse et une énergie propre.
En vue d'obtenir la sanction du peuple, le ministre des Richesses naturelles René Lévesque ira démontrer aux quatre coins du Québec la nécessité de ce qu'il appelait «le règlement raisonnable d'une situation parfaitement absurde» …
Aujourd'hui, ce qui est raisonnable, c'est de se mettre à l'écoute de la raison scientifique - et économique, qui exhorte les gouvernements du monde entier à désinvestir dans les combustibles fossiles et de laisser sous terre la grande majorité des ressources connues en pétrole et en gaz pour éviter que le bouleversement climatique ne dégénère en catastrophes.
Aujourd'hui, ce qui est absurde, c'est de se lancer à la recherche des nouvelles réserves d'un pétrole parmi les plus sales et les plus polluants de la planète, au nom d'une soi-disant indépendance énergétique, sans débat public ni étude environnementale, alors que le Québec ne dispose ni d'un plan crédible d'atteinte de ces objectifs de réduction de GES, ni d'une mise à jour de sa politique énergétique, ni d'une loi sur les hydrocarbures.
Aujourd'hui, la nécessaire et inévitable révolution énergétique à laquelle nous sommes conviés doit se faire dans le respect des limites des ressources de notre planète, à commencer par celles dont nous contrôlons le développement sur notre territoire. Nous en appelons à un plan et à une stratégie énergétique à la hauteur de notre potentiel et de nos exigences, comme citoyens du Québec et comme citoyens du monde. Et la preuve reste à faire que cette stratégie passera par l'exploitation du pétrole d'Anticosti.
Durant la campagne électorale, vous vous êtes dit « favorable à l'exploitation des hydrocarbures de façon responsable ». Votre sens de la responsabilité sera-t-il inspiré de l'Alberta et du Dakota du Nord, où la dévastation du territoire se déroule selon les plus hauts standards de respect de l'environnement? Ou votre politique s'inspirera-t-elle plutôt de la Suède et du Danemark, deux pays parmi les plus verts et les plus équitables au monde, qui se sont dotés de plan crédible de sortie du pétrole et qui misent sur l'exigence écologique pour stimuler l'innovation et la création d'emplois axés sur un savoir-faire porteur d'avenir et d'une grande fierté?
Depuis des mois, par l'effet d'un raccourci qui fait insulte à l'intelligence, la classe politique laisse croire à la population qu'en investissant 115 millions, on pourra récolter 45 milliards de bénéfices! Alors que nous savons pertinemment qu'il faudrait des milliards et des années d'investissements avant de toucher aux très hypothétiques redevances provenant de cette exploitation, ces formules de la pensée magique ne sont pas à la hauteur des exigences que nous sommes en droit de poser.
Le Québec ne doit pas faire l'économie d'une approche rigoureuse, transparente et démocratique. Et il revient au peuple de décider de l'usage sage, viable et raisonnable qui doit être fait de nos ressources collectives dont nous demeurons les propriétaires et dont l'État n'est que le fiduciaire.
La décision d'exploiter le pétrole d'Anticosti ne saurait se prendre sans le consentement préalable, libre et éclairé des citoyens.
Quand en 2007, votre gouvernement a décidé de céder nos droits sur les ressources pétrolières d'Anticosti, cette dépossession du bien collectif eu lieu sans débat public. Depuis au moins deux ans, aucun membre du gouvernement n'a mis les pieds sur Anticosti. Aujourd'hui, en ce jour anniversaire, souhaitons que votre gouvernement sera digne du geste posée il y a 40 ans par un État capable de se porter véritablement à la défense du Bien commun. Pour moi je demeure,
Votre tout dévoué,
Dominic Champagne
[1] À l'époque, les limites du territoire québécois dans le Golfe du Saint-Laurent ne sont pas clairement définies. Dès 1968, le gouvernement de Trudeau avait entrepris de limiter le domaine public québécois pour faire de l'entrée du Saint-Laurent un territoire de juridiction fédérale et déterminer l'autorité sous laquelle on allait y exploiter les ressources. La proposition fédérale trace une frontière qui part de la pointe de Forillon, en Gaspésie, que le fédéral va acquérir pour en faire un parc, jusqu'aux îles de Mingan qu'il achètera quelques années plus tard, pour en faire un autre parc. Au milieu de cette ligne : Anticosti.
LIEN POUR VIDÉO :
https://vimeo.com/92208251
SOURCE : Rosemonde Communications
Rosemonde Communications: Rosemonde Gingras, [email protected], 514-458-8355
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