Litiges tabac : 3 ½ après avoir gagné leurs recours collectifs, les victimes du tabac font face à des gouvernements qui semblent plus intéressés par le butin que par leur responsabilité d'empêcher de futures victimes
MONTRÉAL, le 28 sept. 2022 /CNW Telbec/ - Ce matin, un tribunal ontarien a entendu (11h00) les compagnies de tabac réclamer un autre sursis de six mois en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), ce qui représenterait le neuvième renouvellement de l'ordonnance du 8 mars 2019 qui permet aux cigarettiers de tenter de régler - d'un seul coup - tous les litiges et pénalités connexes auxquels ils font face. Contrairement aux audiences précédentes pour le renouvellement du sursis, les avocats qui représentent les victimes du Québec demandent au tribunal de limiter l’extension du sursis à trois mois plutôt qu’aux six réclamées par les cigarettiers. La décision est attendue demain.
Faisant écho à une demande similaire de la Société canadienne du Cancer qui a été rejetée par le tribunal (bien qu’elle s’est fait accorder le statut d’observateur), la Fondation des maladies du cœur et de l'AVC demande au tribunal de lui octroyer le statut de créancier afin de représenter les futurs consommateurs de tabac, supposant que ces derniers procureront le financement des ententes négociées (para. 7, 9 et 10). Selon la fondation, ce mal « inévitable » pourrait être atténué avec l'octroi d'une partie des montants disponibles à la création d'un fonds antitabac qui serait géré par des entités qui ne sont pas liées aux cigarettiers ni aux gouvernements (para. 12).
Or, « la réalité fait que la création d'un fonds antitabac permettrait aux gouvernements d'envelopper une entente déficiente d'un voile de bonnes intentions. Au contraire, il importe de prioriser les issues bénéfiques pour la santé de manière à directement minimiser le nombre de futures victimes - et non de se contenter d'issues purement financières, » explique Flory Doucas, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. « Pourquoi prioriser le financement d'une lutte prolongée pour réduire le tabagisme, alors que des mesures efficaces pourraient être directement enchâssées dans une entente ? »
Les avocats qui représentent les victimes québécoises précisent que pas moins de 670 des victimes enregistrées au recours sont décédées depuis mars 2019, c’est-à-dire qu’ils ne verront personnellement pas un sou - ni eux, ni les nombreux autres qui communiquent avec la firme d’avocats pour signaler la date imminente de leur mort a fait savoir Me Bruce Johnson lors de l’audience. Ces victimes sont inscrites aux recours par le fait qu’ils ont souffert d'un cancer du poumon, d'un cancer de la gorge ou d’emphysème. « Pourquoi les gouvernements provinciaux ne s’opposent-ils pas aux sursis successifs accordés aux cigarettiers ? Est-ce parce que plus que ça traîne, plus la cagnotte grossit ? » demande la porte-parole.
Pourtant, une étude économique de 2020 préparée par H. Krueger and Associates inc. confirme la pertinence, la rentabilité et le bien-fondé pour les gouvernements de prioriser une issue non financière à ces litiges. En effet, l'étude estime que le Québec épargnerait 22,2 milliards de dollars et l'Ontario 26,1 milliards de dollars si les compagnies de tabac se voyaient imposer l'obligation de réduire la prévalence du tabagisme à 5 % d'ici 2035, soit la cible actuelle de la stratégie antitabac du gouvernement fédéral. Une telle réduction serait accompagnée de 641 000 fumeurs en moins au Québec et de 990 000 en moins en Ontario, « ce qui représenterait une véritable victoire pour la santé publique. »
« Une entente qui forcerait les grands cigarettiers à atteindre des cibles de réduction du tabagisme, plutôt qu'un règlement financier pour les provinces et pour un fonds antitabac, serait une approche éthique qui sauverait des vies - au lieu de compter sur de futurs consommateurs pour payer les montants octroyés. Il faut négocier de manière à réduire le tabagisme, » précise madame Doucas, tout en ajoutant que le gros des montants présentement sur la table devrait être versé aux victimes québécoises qui ont eu gain de cause à la suite d'un procès qui aura duré plus de vingt ans.
Ces constats ont été présentés aux divers gouvernements, dont celui du Québec par l'entremise de plusieurs lettres, dont celle envoyée le 8 septembre 2020 qui demeurent sans suite matérielle de la part du gouvernement Legault. Or, l'Ontario et le Québec sont les plus gros joueurs dans les négociations actuelles et, en agissant ensemble, pourraient forcer un règlement.
« Bien que le contexte actuel puisse favoriser l'appât du gain pour les gouvernements provinciaux, il importe de ne pas perdre de vue l'importance de cette occasion historique et exceptionnelle pour forcer l'industrie du tabac à changer son comportement. Le tribunal pourrait se faire le médiateur d'une entente qui dicte des mesures transformatrices pouvant représenter le début de la fin de cette industrie meurtrière. Par ailleurs, 71 % des Canadiens (et 81 % des Québécois) sont favorables à ce que leur province « profite de ces poursuites pour obliger les fabricants de tabac à éliminer progressivement la consommation du tabac au Canada ».
« C'est le devoir des gouvernements de favoriser la justice pour les victimes et de protéger les générations futures contre les risques de santé évitables. En fait, il n'est pas dans l'intérêt des consommateurs, peu importe les produits, de faciliter le désengagement des gouvernements face à de telles responsabilités », conclut madame Doucas.
Rappelons que l'origine de cette saga repose sur la décision rendue par la Cour supérieure du Québec forçant les trois grands cigarettiers à payer des amendes de plus de 15 milliards de dollars pour les fautes et préjudices qu'ils ont causés aux victimes québécoises du tabac et que « l'attribution de dommages punitifs doit avoir un objectif préventif, c'est-à-dire de viser à décourager la répétition de comportements semblables, tant par les malfaiteurs que dans la société en général », comme l'explique la Cour [*notre traduction].
SOURCE Coalition québécoise pour le contrôle du tabac
Flory Doucas, 514.515-6780, [email protected]
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