Litiges-tabac : 4 ans après avoir gagné leurs recours collectifs contre les cigarettiers, les victimes font face à des gouvernements provinciaux qui les empêchent de voir un seul cent de leur vivant
MONTRÉAL, le 28 mars 2023 /CNW/ - Aujourd'hui le tribunal ontarien a entendu les compagnies de tabac réclamer de nouveau un sursis en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), ce qui représenterait le dixième renouvellement de l'ordonnance du 8 mars 2019 ayant permis aux cigarettiers de tenter de régler d'un seul coup tous les grands litiges (et pénalités connexes) auxquelles ils font face au pays, tout en poursuivant leurs activités usuelles (« business as usual »). Le juge McEwen dit qu'il rendra sa décision d'ici vendredi.
Le sursis réclamé par Imperial Tobacco et les autres fabricants prolongerait la médiation jusqu'au 29 septembre 2023, alors que les avocats représentant les victimes demandent au tribunal de le limiter à trois mois (jusqu'au 30 juin 2023). Ces derniers avaient d'ailleurs précisé en septembre 2022 que pas moins de 670 des victimes enregistrées au recours sont décédées dans les trois et demi ans depuis que l'ordonnance a été émise en mars 2019, ces derniers ayant souffert d'un cancer du poumon, d'un cancer de la gorge ou d'emphysème. Tel que soulevé par Me Bruce Johnson (un des avocats des victimes) lors de l'audience aujourd'hui, le bilan des morts ne cesse d'augmenter.
Selon Flory Doucas, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac : « La détresse des fumeurs malades et mourants ne s'est pas amoindrie avec leur victoire devant le plus haut tribunal du Québec il y a quatre ans. Les mêmes cigarettiers que le tribunal a reconnu coupables d'avoir caché pendant des décennies la vérité concernant la nocivité de leurs produits -- au détriment d'innombrables victimes dont celles du Québec -- poursuivent aujourd'hui leurs activités commerciales comme si de rien n'était. »
En effet, ayant obtenu la protection conférée par la LACC, les cigarettiers poursuivent leurs affaires comme à l'habitude. Ils font même des ententes de services (para 112) avec des entités appartenant à leurs compagnies mères respectives, ce qui ultimement les enrichit, tout en versant ce qui reste des profits dans le fonds d'indemnisation associé à ce processus. Ce fonds s'élevait à un peu plus de 7,5 G$ (7,5 milliards de dollars) en mars 2022, auxquels s'est ajouté 610 M$ depuis (199 M$/ITC + 321.1 M$/RBH + 89.5 M$ JTI) totalisant quelques 8 G $, soit des miettes par rapport aux plus de 500 G$ (500 milliards de dollars) réclamés par l'ensemble des parties, dont le 15 milliards de dollars que la Cour d'appel du Québec a ordonné aux cigarettiers de verser aux victimes des recours collectifs du Québec en 2019.
Sursis après sursis, les victimes québécoises du tabac ayant eu gain de cause voient les années passer sans aucune compensation financière. Dans sa motion au tribunal, la firme d'avocats qui les représente rapporte qu'à la suite de chaque sursis, surtout celui du printemps dernier, des personnes inscrites aux recours collectifs leur écrivent pour exprimer leur extrême frustration face aux retards ainsi que leur perte de confiance et leur sentiment d'impuissance face au processus, incluant le regretté Émile Rioux qui leur écrivait quelques semaines avant d'avoir reçu l'aide médicale à mourir.
Voici des extraits (les versions non traduites seraient disponibles en contactant [email protected]) :
« February 18, 2023 email (translated from the original French): Just to clarify the subject and the reality, yes tobacco killed me and this after several years of cessation, since autumn 2022 pneumonia without end, water in the lungs at the same time and recently I asked for medical assistance in dying which will take place at the beginning of March at the Laval hospital. The family is aware and all my children as well as my wife respect my choice and I will stop suffering. I am enjoying these last moments with my family and friends and I feel at peace with myself. Yes tobacco killed me. Thank you for your understanding and especially for your collaboration to the members…"
"November 24, 2022 email (translated from the original French): Really it is disappointing every time we receive information regarding this class action. […] How is it possible that nothing is happening in this file. My mother who died recently, will unfortunately never be able to know the end of this action. Let's hope that us her kids will one day be able to see the end of it."
"September 27, 2022 email (translated from the original French): This is really a farce, pure cynicism, arrogance, contempt...Who are the person or persons responsible for this delay. Are the dice played out in advance? These killer companies, supposedly bankrupt, are now happily vaping and don't give a damn about their victims...It's really infuriating."
« Du point de vue de la justice, la situation est déplorable, » explique la porte-parole. En effet, hormis le Québec et l'Ontario, les huit autres gouvernements provinciaux qui participent à ce processus ont choisi d'être représentés par un consortium d'avocats sur la base d'honoraires conditionnels à un règlement financier -- ce qui écarte les options structurantes qui forceraient les compagnies de tabac de changer leurs comportements néfastes. De plus, le processus met les victimes du tabac - elles qui ont un jugement en main à la suite de deux décennies devant les tribunaux - sur le même pied d'égalité que l'ensemble des autres créanciers, incluant les provinces dont les procès pour le recouvrement des coûts de soins de santé étaient à peine entamés.
« Ce qui est le plus scandaleux présentement, c'est que neuf gouvernements provinciaux sur dix ne se sont pas opposés aux sursis consécutifs réclamés par les cigarettiers. Est-ce parce qu'elles préfèrent voir la cagnotte grossir de quelques 300 millions $ aux six mois? » se demande madame Doucas. « C'est seulement le Québec qui a, aujourd'hui, manifesté une solidarité avec les victimes en vue de limiter à trois mois le prochain sursis. »
Qu'en est-il des mesures structurantes?
« Tout indique que ce processus ne cherche pas à contrer l'épidémie du tabagisme ni la dépendance à la nicotine, mais vise plutôt des gains monétaires. En effet, il n'y a aucune indication comme quoi les provinces seraient en train de travailler ensemble en vue d'imposer des mesures contraignantes à l'industrie dans le but de changer ses comportements délétères. Par exemples, de telles mesures pourraient forcer les fabricants à progressivement diminuer la vente de cigarettes en vertu de cibles prédéterminées et surveillées par la Cour, ou à progressivement baisser le taux de nicotine dans les cigarettes pour éventuellement commercialiser des cigarettes non-addictives tel que prévu en Nouvelle Zélande. »
En fait, depuis l'ordonnance de mars 2019, l'industrie continue de piéger de nouveaux clients dans la dépendance à ses produits, notamment par l'entremise des cigarettes électroniques nicotiniques, tel que s'est plaint un membre des recours collectifs : « Ces entreprises meurtrières, censées être en faillite, sont maintenant heureuses de pouvoir vapoter et se fichent éperdument de leurs victimes... C'est vraiment exaspérant. » Dans le cadre d'une présentation de la BAT (publiée en février 2023), la maison-mère d'Imperial Tobacco signale justement que le Canada figure aujourd'hui parmi ses cinq plus grands marchés de produits de vapotage, et que sa marque VUSE représente 92% du marché canadien des dispositifs fermés (diapo 55), les dispositifs les plus populaires auprès des jeunes et dont la popularité ne cesse de s'accroître.
« Comment se fait-il que les gouvernements provinciaux tolèrent la création de nouveaux marchés par les trois plus grands manufacturiers du tabac au Canada - et le lot de dommages collatéraux qui viennent avec - alors que ces mêmes fabricants se trouvent en situation d'insolvabilité face à une multitudes de créanciers dont les victimes de leurs propres produits ? C'est scandaleux! » conclut la porte-parole.
SOURCE Coalition québécoise pour le contrôle du tabac
Flory Doucas : 514-515-6780
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