Percée mondiale en supraconductivité - Des physiciens de l'Université de Sherbrooke mettent fin à 20 ans de débats English
SHERBROOKE, QC, le 12 févr. 2014 /CNW Telbec/ - Dirigée par trois physiciens de l'UdeS, une équipe internationale réalise la toute première mesure directe du champ magnétique critique des cuprates, les matériaux les plus prometteurs en matière de supraconductivité. Cette percée résout une énigme qui a occupé les chercheurs pendant 20 ans et ouvre la porte à de grandes avancées.
Cette percée est fortement remarquée par les acteurs du domaine. L'étude de cette équipe paraît aujourd'hui dans la prestigieuse revue Nature Communications.
« Un jour à Sherbrooke, cette idée séduisante et excitante est venue : et si nous mesurions la conductivité thermique dans un cuprate, en champ magnétique intense? » raconte Gaël Grissonnanche, doctorant en physique et premier auteur de l'étude.
Une destination de rêve : la supraconductivité à température ambiante
Lorsqu'ils sont soumis à de très basses températures - des températures à peine plus élevées que le zéro absolu (-273 °C) - certains matériaux voient leurs propriétés électriques et magnétiques changer de façon radicale. Les matériaux deviennent alors supraconducteurs : ils n'opposent plus aucune résistance au passage du courant électrique. On a alors une propriété presque magique : l'électricité est transmise parfaitement, sans aucune perte d'énergie.
Les matériaux supraconducteurs les plus prometteurs sont les oxydes de cuivre, qu'on appelle « cuprates ». Ce sont, à l'heure actuelle, les matériaux qui expriment l'état de supraconductivité à la plus « haute » température connue, soit -150 °C. C'est à mi-chemin entre le zéro absolu et la température ambiante.
Sauf que pour l'instant, il faut refroidir le matériau à des températures extrêmement basses pour que s'exprime l'état supraconducteur. « Si cet état pouvait persister à température ambiante, notre monde technologique serait profondément transformé », maintient Louis Taillefer, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en matériaux quantiques et investigateur sénior de l'étude. La lévitation magnétique est de loin la manifestation la plus spectaculaire du phénomène de supraconductivité, avec la possibilité de concevoir des trains propulsés à de très grandes vitesses. Le stockage et le transport de l'énergie seraient aussi bouleversés : aucune perte d'énergie ne serait encourue par le recours aux supraconducteurs, le courant circulant sans qu'il soit nécessaire de payer pour bénéficier de l'électricité. « Ce grand rêve sera réalisable si les scientifiques arrivent à comprendre comment augmenter la valeur maximale de la température critique d'un facteur 2, ou plus. »
L'équipe vient justement d'identifier l'un des principaux mécanismes qui limitent la température critique des cuprates, ouvrant ainsi une nouvelle piste pour savoir comment l'augmenter.
Un million de fois le champ magnétique de la Terre
En plus de la température critique, une deuxième propriété fondamentale du matériau supraconducteur est son champ magnétique critique. Quelle est sa valeur dans les cuprates? Pour mesurer le champ critique des cuprates, l'équipe a entrepris d'étudier leur capacité à conduire la chaleur. La conduction de la chaleur dans un matériau dépend, de façon très sensible, de la façon dont ses électrons se comportent. La toute première mesure directe de ce champ critique dans les cuprates, donc, a été rendue possible grâce à une approche inédite développée par le groupe de chercheurs en physique des matériaux quantiques de l'UdeS.
« La clé de notre découverte, ajoute Nicolas Doiron-Leyraud, fut de développer à Sherbrooke un appareillage pour faire de telles mesures dans des conditions de champs magnétiques très intenses. » L'équipe s'est ensuite rendue dans les laboratoires spécialisés à Tallahassee, en Floride, et à Grenoble, en France. Dans ces laboratoires, des champs magnétiques pouvant atteindre un million de fois le champ terrestre sont produits.
« Une fois là-bas, nous avons pris conscience que c'était la première fois que quelqu'un tentait cette expérience, dit Gaël Grissonnanche. Premier jour, premières mesures : ça marchait! »
Une signature limpide
« La signature du champ critique est devenue immédiatement apparente dans nos données », explique Nicolas Doiron-Leyraud. Armé de cette nouvelle mesure, le groupe sherbrookois a fait sa découverte majeure. « Nous avons vu une chute soudaine du champ critique en-dessous d'une certaine concentration en électrons. »
Louis Taillefer, qui dirige aussi le programme des matériaux quantiques à l'Institut canadien de recherches avancées, met cette découverte en perspective. « Depuis 20 ans, les scientifiques se demandent quel est le mécanisme responsable de la chute de la température critique, lorsque la concentration des électrons du matériau est réduite en dessous d'une certaine valeur. Jusqu'ici, il y avait deux grands scénarios possibles. »
Le premier scénario attribue la chute au fait que le métal - le cuprate - est graduellement en train de devenir un isolant. Or, dans les isolants, les électrons ne bougent plus - et ne peuvent donc plus former de paires. Le deuxième scénario attribue la chute de température critique à l'apparition soudaine, dans le matériau, d'une phase électronique distincte, qui entre en compétition avec la supraconductivité, et l'affaiblit.
« Depuis 1995, l'opinion de la communauté scientifique penche fortement pour le premier scénario. Nos travaux démontrent maintenant sans équivoque que c'est en fait le deuxième scénario qui s'applique. Cela ouvre une nouvelle piste pour augmenter la température critique à laquelle la supraconductivité est possible : il faut supprimer la phase en compétition! » conclut Louis Taillefer.
SOURCE : Université de Sherbrooke
Isabelle Huard, conseillère en relations médias
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