Protection des sources: La FPJQ réagit au projet de loi 87 à l'Assemblée nationale
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FEDERATION PROFESSIONNELLE DES JOURNALISTES DU QUEBEC09 févr, 2016, 19:45 ET
QUÉBEC, le 9 févr. 2016 /CNW Telbec/ - La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a présenté ses réactions, mardi, au projet de loi n° 87, Loi facilitant la divulgation d'actes répréhensibles dans les organismes publics, lors des auditions publiques à l'Assemblée nationale.
Les représentants de la FPJQ étaient:
Lise Millette, présidente de la FPJQ
Vincent Larouche, journaliste d'enquête à La Presse, membre de la FPJQ
Félix Séguin, journaliste d'enquête à TVA, administrateur de la FPJQ
Protéger les lanceurs d'alerte, pour l'intérêt public
La FPJQ a présenté les principaux problèmes du projet de Loi 87, dont :
1) L'absence du concept d'intérêt public
L'intérêt public est à la base de la nécessité de protéger les sources. Or, le concept d'intérêt public ne figure nulle part dans ce projet de Loi. Il doit être inscrit dans la Loi comme principe fondamental pour protéger ceux qui divulguent des actes répréhensibles. S'il ne l'est pas, toutes les excuses seront bonnes pour ne pas protéger un divulgateur qui agit dans l'intérêt public.
La FPJQ est d'accord avec le principe de fixer des balises à la divulgation d'informations confidentielles, et consciente qu'il peut exister des contextes où une divulgation n'est pas justifiée. Mais, pour la FPJQ, le critère fondamental pour juger de la chose, c'est l'intérêt public. Si un divulgateur révèle des informations qui sont d'intérêt public, alors il devrait être protégé. On peut imaginer différentes façons de déterminer si une révélation est d'intérêt public. Chose certaine, pour la FPJQ, l'organisme visé par la dénonciation ne peut pas être juge et partie en la matière.
2) Le besoin de protéger les divulgateurs qui parlent au public et aux journalistes
Ce projet de loi, loin de simplifier les choses pour les sonneurs d'alarme, place le fardeau de la preuve sur leurs épaules.
Or, il faut du courage pour dénoncer.
L'article 6 stipule que pour divulguer au public des actes répréhensibles, une personne devra prouver que cet acte représente «un risque grave pour la santé ou la sécurité d'une personne ou pour l'environnement».
La collusion dans l'industrie de la construction ne représentait ni un risque pour l'environnement ni un risque pour la santé. Pourtant, il s'agissait bien d'actes répréhensibles et d'un tel niveau d'intérêt public que Québec a autorisé la tenue de la commission Charbonneau qui s'est traduite par près de 3 ans d'audiences publiques. On y a exposé des actes qui ne constituaient ni risque sanitaire ni environnemental, mais qui ont causé un tort énorme à la santé de nos institutions et engendré un climat de méfiance dans la population, ce qui, vous en conviendrez, n'est ni sain pour la démocratie ni pour la confiance du public.
À peu près tout le monde s'entend pour dire que cette commission n'aurait jamais eu lieu sans les nombreux scandales exposés par des journalistes avec l'aide de divulgateurs, qui dans bien des cas s'étaient déjà plaints à la police et aux instances officielles, mais qui constataient que ce n'était pas suffisant pour faire changer les choses. L'histoire leur a donné raison, le changement est venu lorsqu'ils ont parlé aux médias, et il faudrait les en féliciter plutôt que le leur reprocher. Il y en a un, un ancien conseiller du sous-ministre des Transports François Beaudry, qui s'est exprimé publiquement sur ce projet de loi le 28 janvier dernier et qui l'a qualifié de "cosmétique, presque inutile".
Toujours selon l'article 6, avant s'adresser au public, le sonneur d'alarme devra communiquer avec la police ou Commissaire à la lutte contre la corruption.
Une telle démarche, loin d'être une ouverture, constitue une forme de judiciarisation du processus de divulgation, un obstacle de plus pour le dénonciateur. Elle garantit qu'aucune information ne sera rendue publique, puisque lorsqu'une enquête policière est en cours, aucun commentaire n'est formulé ni information donnée afin de ne pas nuire à l'enquête.
Et que dire des divulgateurs qui proviendraient du milieu policier?
Au cours des dernières années, la FPJQ est intervenue pour dénoncer des «chasses aux sources» initiées par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), dans l'affaire de la vente de listes d'informateurs au crime organisé, et par la Sûreté du Québec (SQ), dans l'échec du volet 2 de l'opération Diligence sur l'infiltration du crime organisé dans la FTQ-Construction.
Ne pouvant se retourner vers leur propre institution, les sonneurs d'alarme de ce type seraient-ils protégés s'ils se retournaient vers les médias, dans l'intérêt public? Non.
3) Des cas d'intérêt public peuvent être facilement rejetés
L'article 11 permet au Protecteur du citoyen de ne pas considérer une demande si elle est jugée « frivole ». Le problème est de confier au seul Protecteur du citoyen le soin de juger de ce qui est frivole, ce qui n'est pas de nature à donner confiance aux plaignants.
Qui plus est, le Protecteur du citoyen peut mettre fin au traitement d'une divulgation, si celle-ci «met en cause le bien-fondé d'une politique ou d'un objectif de programme du gouvernement ou d'un organisme public».
Il convient ici de citer l'exemple de l'ex-fonctionnaire du gouvernement fédéral, Sylvie Therrien. Cette sonneuse d'alarme avait dénoncé, à nos collègues du journal Le Devoir, un système douteux de quotas exigés à chaque fonctionnaire enquêtant sur la fraude au programme d'assurance-emploi. Madame Therrien, qui a travaillé dans l'intérêt public, n'a reçu aucune protection contre son congédiement. Elle ne recevrait pas plus de protection si elle travaillait au niveau provincial Québec sous la Loi 87 : une pareille plainte ne serait pas traitée et encore moins rendue publique.
4) L'absence du secteur municipal
Le plus grand scandale de corruption du Québec des dernières années provient des municipalités. Les divulgateurs du secteur municipal doivent être protégés par la Loi. Quelle justification le gouvernement trouve-t-il pour y omettre le secteur municipal?
Un autre exemple. À la Ville de Montréal, un fonctionnaire qui avait dénoncé à La Presse, sous le couvert de l'anonymat, l'effritement des mesures de lutte à la collusion sous l'administration de l'ex-maire Michael Applebaum, a été traqué, identifié et puni par une suspension de cinq jours. Encore une fois, le projet de loi 87 ne pourrait rien faire pour empêcher de telles représailles envers celui qui sonne l'alarme dans l'intérêt public.
5) L'absence du secteur privé
Le Projet de loi 87 ne dit rien, par ailleurs, sur le secteur privé ou sur les liens que pourraient avoir les fonctionnaires et le personnel des organismes publics avec les entreprises privées qui transigent avec le gouvernement. En raison de la collusion qui a frappé nos institutions ces dernières années, et qui a gangrené de nombreux ministères, il y a de quoi se questionner. Les dysfonctions de l'industrie de la construction ont été rendues publiques grâce aux courageux divulgateurs du secteur privé qui ont parlé à des journalistes d'enquête, et qui en ont payé le prix. La commission Charbonneau recommande d'ailleurs, dans son rapport final, la création d'un « régime général de protection des lanceurs d'alertes », autant au public qu'au privé. Ce projet de Loi devrait en tenir compte.
6) Un système interne plutôt que la transparence
Dans le Projet de loi 87, le personnel des organismes publics sera, au lendemain de l'adoption de ce projet loi, fortement encouragé à garder l'information à l'interne. Peut-être se sentiront-ils même bâillonnés sachant qu'ils devront se plier à un processus judiciaire pour dévoiler des situations inacceptables et d'intérêt public.
En conclusion, ce projet de loi 87 ne laisse pas de place à la divulgation publique et porte faussement l'intention de vouloir la faciliter.
Il tend plutôt à vouloir garder à l'interne, entre les murs des organismes publics, tous les actes répréhensibles et faire en sorte que le public n'en sache rien.
Ce projet de loi n'est pas, non plus, une réponse à la recommandation 8 du rapport Charbonneau qui préconisait une meilleure protection pour les sonneurs d'alarme:
« Les personnes qui œuvrent au sein d'une organisation ou qui travaillent avec celle-ci sont souvent les mieux placées pour devenir des « lanceurs d'alerte » et fournir aux organismes de surveillance et de contrôle les informations dont ils ont besoin pour ouvrir une enquête. »
Ce projet de loi coupera les ailes aux « mieux placés » par des dédales bureaucratiques et des procédures qui ont pour but de ne pas faire de bruit.
Aujourd'hui, les lanceurs d'alerte ne sont pas protégés par l'État. Au contraire : ils sont traqués lorsqu'ils osent fournir des informations anonymes aux journalistes, sous prétexte qu'ils ont contrevenu à leurs obligations de loyauté en divulguant des informations sensibles.
Loin d'y remédier, la Loi passe à côté du problème et semble davantage viser à protéger l'image des institutions que l'intérêt du public.
SOURCE FEDERATION PROFESSIONNELLE DES JOURNALISTES DU QUEBEC
Lise Millette, présidente de la FPJQ (514) 971-0425
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