Enquête indépendante sur l'événement survenu à Laval le 19 septembre 2022 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 6 oct. 2023 /CNW/ - Les procédures judiciaires étant terminées, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à ne pas déposer d'accusation dans ce dossier.
Rappelons qu'il concluait, dans son communiqué intérimaire du 13 septembre 2023, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par les policières et le policier du Service de police de Laval (SPL). Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement survenu à Laval le 19 septembre 2022 entourant la perte de conscience d'un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. Malgré de nombreuses tentatives pour la joindre, la personne blessée n'a pu être informée de la décision.
Le 19 septembre 2022, vers 16 h 40, deux policières du SPL répondent à un appel 911 lié à un vol à l'étalage dans un commerce situé sur le boulevard Robert-Bourassa à Laval. Vers 16 h 50, elles arrivent sur place et rencontrent l'employée ayant fait l'appel au 911. Celle-ci est en présence d'un des suspects qui est menotté. Elle indique que deux autres suspects, dont elle fournit la description, ont pris la fuite.
Les policières sortent du commerce et ratissent le stationnement. Elles repèrent un véhicule dont le conducteur correspond à la description donnée. L'une des deux policières fait signe au conducteur de s'immobiliser, mais celui-ci ignore sa demande et poursuit son chemin. Les policières montent à bord de leur autopatrouille et quittent le stationnement via le boulevard Robert-Bourassa, direction est. Elles localisent le véhicule à l'intersection de l'autoroute 440, direction ouest.
La conductrice de l'autopatrouille actionne la sirène et les gyrophares afin d'intercepter le véhicule de l'homme, mais celui-ci refuse d'obtempérer et accélère. Les policières décident donc d'entreprendre une poursuite et relaient l'information sur les ondes radio. L'intervention est supervisée à distance par un sergent qui confirme le déclenchement de la poursuite. Il est alors 16 h 56.
Les policières suivent le véhicule de l'homme qui circule sur l'autoroute 440, direction ouest, à une distance d'environ 20 à 30 mètres. Elles le voient ensuite emprunter la bretelle pour le boulevard des Laurentides, direction sud, puis traverser l'intersection de la rue Saulnier sans s'immobiliser au feu rouge. Étant donné la dangerosité de la manœuvre et le fait que la poursuite pose alors trop de risques, les policières décident d'y mettre fin et en avisent leur sergent sur les ondes radio à 16 h 58. Celui-ci confirme l'annulation de la poursuite.
Les policières éteignent la sirène et les gyrophares de l'autopatrouille, puis ralentissent. Le véhicule de l'homme les distance et fait un virage sur le boulevard Saint-Martin Ouest. Les policières continuent de le suivre de loin.
À l'intersection de la rue de Grenoble, le véhicule de l'homme traverse le terre-plein pour contourner les voitures qui sont immobilisées au feu rouge, puis tourne vers le sud sur la rue de Grenoble. Les policières, suivant plus loin derrière, réactivent leurs gyrophares à l'approche des feux de circulation afin que les véhicules leur cèdent le passage. Dès qu'elles franchissent l'intersection, elles éteignent les gyrophares de l'autopatrouille. Elles tournent à leur tour vers le sud sur la rue de Grenoble. Au même moment, le véhicule de l'homme fait demi-tour, face à elles, puis emprunte le boulevard Saint-Martin Est. Les policières le perdent de vue.
À 17 h, elles arrivent à l'intersection du boulevard des Laurentides et du boulevard Saint-Martin et aperçoivent le véhicule de l'homme accidenté, qui est entré en collision avec le véhicule d'une citoyenne. Le rapport du reconstitutionniste révèle que celle-ci circulait en direction sud sur le boulevard des Laurentides et qu'elle avait la priorité de passage.
L'homme sort du véhicule et s'assoit au sol. L'une des deux policières le menotte et le place en position latérale de sécurité. Il ne présente pas de blessures apparentes, mais il perd conscience et est donc conduit vers un centre hospitalier, où son état se stabilise rapidement. Un passager qui prenait place dans sa voiture, de même que la conductrice du véhicule accidenté, sont également conduits vers un hôpital pour y traiter des blessures mineures.
L'infraction de conduite dangereuse, décrite à l'article 320.13 du Code criminel, se définit comme le fait de conduire un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public, en tenant compte des circonstances, incluant l'utilisation qui en est faite, la nature et l'état du lieu ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu. Le test applicable en matière de conduite dangereuse a été établi par la Cour suprême et prévoit que la preuve doit démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite qui doit être évalué, indépendamment des conséquences d'une collision ou d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule.
La preuve doit également établir que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les mêmes circonstances, en l'occurrence, un policier. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ainsi, une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un individu.
L'accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou la mort exige la preuve d'un lien de causalité entre la conduite du véhicule et de telles conséquences. À cet égard, la norme juridique applicable est que la conduite doit avoir contribué de manière appréciable aux lésions corporelles ou à la mort.
Par ailleurs, le Code de la sécurité routière (CSR) contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 précise que le conducteur d'un véhicule d'urgence ne doit actionner les feux clignotants ou pivotants, ou les avertisseurs sonores, ou un dispositif de changement des signaux lumineux de circulation visés à l'article 255 dont est muni son véhicule, que dans l'exercice de ses fonctions et si les circonstances l'exigent. Il n'est alors pas tenu de respecter certaines dispositions du CSR.
Dans cette affaire, l'intervention était légale étant donné que les policières avaient les motifs de croire qu'une infraction criminelle avait été commise, que l'homme refusait d'obtempérer et qu'il a pris la fuite. La preuve révèle par ailleurs que les policières ont conduit prudemment à tout moment de la poursuite, et ce, en maintenant une vitesse et une distance sécuritaires vis-à-vis du véhicule de l'homme. Les policières ont décidé d'interrompre la poursuite lorsqu'elles ont jugé que la conduite de l'homme était dangereuse et que leur sécurité ou celle du public étaient compromises. Cette décision a été avalisée par le sergent qui supervisait la poursuite via les ondes radio. Le rapport du reconstitutionniste et les images d'une caméra de surveillance révèlent que le véhicule de patrouille n'était pas impliqué dans l'accident et donc, que la conduite des policières n'était pas en cause dans la collision impliquant le véhicule de l'homme.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policières et le policier du SPL impliqués dans cet événement.
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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