Trois compagnies de tabac canadiennes condamnées à verser plus de 15 milliards $ aux victimes québécoises
MONTRÉAL, le 1er juin 2015 /CNW Telbec/ - Dans un jugement historique rendu public en fin de journée, le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec donne gain de cause aux deux recours collectifs québécois visant les trois cigarettières Imperial Tobacco, Rothmans, Benson & Hedges et JTI-MacDonald. Il condamne celles-ci à payer plus de 15 milliards $ en dommages punitifs et moraux à près de 100 000 Québécois fumeurs ou ex-fumeurs atteints d'emphysème, du cancer du poumon ou du cancer de la gorge, du jamais vu au Canada. Les trois compagnies, accusées d'avoir « fait passer le profit avant la santé de leurs clients[1] » devront débourser dans les 60 jours un premier versement de plus d'un milliard $, afin d'indemniser les victimes selon les paramètres qui seront déterminés par la Cour, que la cause soit portée en appel ou non.
« C'est un grand jour pour les victimes du tabac qui attendent ce moment depuis près de 17 ans » a lancé Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé, l'organisme qui représente les membres du recours CQTS-Blais. « Le juge condamne avec force les compagnies de tabac et leur fait porter la responsabilité des maladies causées aux victimes. C'est aujourd'hui une grande victoire pour la lutte contre le tabagisme ! », a souligné Mario Bujold.
Dans son jugement de 276 pages, le magistrat exprime sans détour les raisons de cette condamnation : « Au cours des quelque 50 années visées par les recours, et pendant les 17 années de procédures qui ont suivies, les compagnies ont empoché des milliards de dollars aux dépens des poumons, des gorges et de la santé de leurs clients[2] ». Plus spécifiquement, le juge Riordan déclare que les compagnies de tabac ont enfreint :
- l'obligation générale de ne pas causer de préjudice à d'autres;
- le devoir du manufacturier d'informer ses clients des risques et des dangers de ses produits;
- le droit à la vie, à la sécurité, à l'inviolabilité et à la dignité de la personne protégé par la Charte québécoise des droits et libertés;
- l'obligation du manufacturier de véhiculer une information véridique - non trompeuse - concernant ses produits en vertu de la Loi sur la protection du consommateur.
« Ces trois cigarettières ont menti à leurs clients pendant 50 ans et ont porté atteinte à leur droit à la vie. C'est une grande victoire pour les victimes et aussi pour la société en général », a fait savoir Me André Lespérance, l'un des avocats de la poursuite. Pour Me Bruce Johnston un autre avocat représentant les victimes : « Ce jugement lance un message fort qu'aucune industrie n'est au-dessus de la loi. Le temps où l'on tolérait qu'une entreprise choisisse impunément ses profits aux dépens de la santé de ses clients est révolu. Il s'agit d'une grande victoire pour la santé publique et pour l'imputabilité ».
Imperial Tobacco, davantage fautive
Parmi les trois compagnies poursuivies, le juge blâme plus sévèrement Imperial Tobacco (ITL) : « Notre analyse des activités des compagnies au cours de la période couverte par les recours illustre à quel point le comportement coupable de ITL surpasse celui des autres compagnies sur des facteurs similaires. Elle était le leader de l'industrie sur plusieurs fronts, incluant celui de cacher la vérité au public et de le tromper[3] ».
Compte tenu de son comportement, cette compagnie devra assumer un excédent des dommages moraux qui s'ajoute à une évaluation basée sur sa part de marché, pour un total de 67 % de l'ensemble des coûts. Rothmans, Benson & Hedges, quant à elle, est tenue responsable à hauteur de 20 % des dommages moraux et JTI-MacDonald, à 13 %.
Le cas de Jean-Yves Blais, membre désigné
Rappelons que les recours collectifs concernent notamment des personnes qui ont commencé à fumer dans les années 1950, 60 et 70, à une époque où les avertissements sur les paquets de cigarettes étaient inexistants ou insuffisants et la publicité des produits du tabac, omniprésente et trompeuse. « Lorsque feu mon mari a commencé à fumer dans les années 1950, à l'âge de 10 ans, il ne connaissait pas les risques liés à la cigarette. Par la suite, il a essayé plusieurs fois de cesser de fumer sans jamais y parvenir. Malheureusement, il n'aura pas vécu assez longtemps pour connaître l'issue de ce procès », a déploré Lise Blais, veuve du membre désigné du recours CQTS-Blais. Peu après le début du procès en mars 2012, Jean-Yves Blais est décédé des suites d'un cancer du poumon causé par le tabac.
Deux recours collectifs et leurs indemnités
Le jugement rendu aujourd'hui concerne deux recours collectifs qui ont été entendus dans le cadre d'un même procès : d'une part, le recours « Conseil québécois sur le tabac et la santé et Jean-Yves Blais », regroupant 99 957 fumeurs et ex-fumeurs québécois victimes de cancers du poumon, de la gorge ou d'emphysème et, d'autre part, le recours « Cécilia Létourneau », regroupant 918 218 personnes dépendantes du tabac au Québec.
Les deux recours ont obtenu gain de cause mais seuls les membres du recours CQTS-Blais recevront une indemnisation. Les dommages punitifs consentis au recours « Létourneau » s'élèvent à 131 millions $, ce qui représente 130 $ par membre, un montant qu'il serait « impraticable et trop onéreux[4] » de distribuer, d'après le juge. Les modalités de distribution de cette somme seront connues au cours des prochains mois. Quant à eux, les membres du recours « CQTS-Blais » recevront 80 000 $ ou 100 000 $ par cas de cancer du poumon ou de la gorge et les victimes d'emphysème, 24 000 $ ou 30 000 $, plus les intérêts accumulés depuis 1998. D'ici quelques mois, des avis seront publiés pour renseigner les membres du recours sur la procédure à suivre pour réclamer une indemnité. Entre-temps, la population peut obtenir plus d'information sur ce recours collectif en consultant le site www.cqts.qc.ca.
Un procès fleuve
Les deux recours collectifs, entrepris en 1998, ont été autorisés en 2005 par le juge Pierre Jasmin. Le procès s'est ouvert le 12 mars 2012, après 14 longues années de préparation. À la suite de 251 jours d'audience, l'interrogatoire de 76 témoins, dont plus de 20 experts, et plus de 43 000 documents admis en preuve, le procès s'est terminé en décembre dernier. Il s'agit là d'un des plus grand procès et la plus importante condamnation monétaire de l'histoire du Canada.
À propos des cabinets d'avocats représentant les victimes
Digne d'un combat entre David et Goliath, la victoire d'aujourd'hui est le fruit du travail acharné d'une équipe constituée d'une dizaine d'avocats provenant de quatre bureaux, soit Trudel & Johnston, Lauzon Bélanger Lespérance, Kugler Kandestin et De Granpré Chait. Les cabinets Lauzon Bélanger Lespérance et Trudel & Johnston sont aujourd'hui même fusionnés sous le nom Trudel Johnston & Lespérance.
À propos du Conseil québécois sur le tabac et la santé
Vers un Québec sans tabac est la mission du Conseil québécois sur le tabac et la santé qui œuvre depuis 39 ans à mobiliser les intervenants de divers milieux afin de réduire et de prévenir la consommation de tabac au Québec. En plus de représenter les victimes du recours CQTS-Blais, cet organisme à but non lucratif coordonne plusieurs programmes de prévention et d'abandon du tabagisme en milieu scolaire, dans les entreprises et auprès de la population.
Plus de renseignements sur ces recours collectifs sont disponibles au cqts.qc.ca/recours.
M. Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé, Me André Lespérance, Me Bruce Johnston, Me Gordon Kugler et Me Philippe Trudel accorderont des entrevues à compter de 18 h.
[1] Notre traduction de la version originale : « By choosing not to inform either the public health authorities or the public directly of what they knew, the Companies chose profits over the health of their customers » (paragraphe 239 du jugement).
[2] Notre traduction de la version originale : « Over the nearly fifty years of the Class Period, and in the seventeen years since, the Companies earned billions of dollars at the expense of the lungs, the throats and the general well-being of their customers » (paragraphe 1037 du jugement).
[3] Notre traduction de la version originale : « Our analysis of the Companies' activities over the Class Period underlines the degree to which ITL's culpable conduct surpassed that of the other Companies on factors similar to these. It was the industry leader on many fronts, including that of hiding the truth from - and misleading - the public. (paragraphe 1009 du jugement).
[4] Sommaire du jugement, p. 9
SOURCE Conseil québécois sur le tabac et la santé
Marie-Soleil Boivin, relations médias, Cell. : 514 377-7648, C : [email protected]
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