Enquête indépendante sur l'événement survenu à Inukjuak le 25 mai 2023 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 27 janv. 2025 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police du Nunavik (SPN).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Inukjuak le 25 mai 2023 entourant le décès d'une femme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 25 mai 2023, vers 18 h 59, des appels sont reçus relativement à une femme intoxiquée cognant à la porte de résidences dans la communauté. Vers 19 h 22, deux policiers de la Sûreté du Québec (SQ) procèdent à l'arrestation de la femme pour contravention au règlement municipal. Elle titube et présente des difficultés d'élocution. Les policiers tentent de procéder à une fouille sur la femme, mais ils sont seulement en mesure de fouiller ses poches, avant qu'elle s'empresse d'entrer dans le véhicule de patrouille. La femme est amenée au poste de police à 19 h 30.
À leur arrivée, la femme boit dans une bouteille d'alcool fort sur le banc arrière. Un des policiers procède à la saisie de la bouteille et vide son contenu. La femme sort rapidement du véhicule de patrouille afin de reprendre la bouteille et tombe presque par terre. Elle est très intoxiquée et le haut de son corps est vacillant. Une odeur d'alcool émane de sa personne. Ses yeux sont vitreux et sa bouche demeure ouverte même lorsqu'elle ne parle pas. Elle est tout de même cohérente lorsqu'elle s'exprime.
Une fois à l'intérieur du poste, conformément à la procédure de mise en cellule, les agents retirent les survêtements de la femme, la fouillent par palpation et vers 19 h 31 l'amènent en cellule no 3 de force, mais sans brutalité. Les deux agents de la SQ quittent le poste pour un appel. Au poste, les agents du SPN entendent la femme crier des propos incohérents environ chaque minute lorsqu'elle est réveillée.
En raison de l'admission d'un nouveau détenu à 20 h 30, une autre détenue qui se trouve dans la cellule no 2 est déplacée dans la cellule no 3 avec la femme. Cette dernière dort sur son côté gauche et respire visiblement.
À 21 h 30, le gardien du poste débute son quart de travail. La codétenue de la femme lui demande un premier verre d'eau. Il ouvre la lumière de la cellule et observe la femme. Elle est couchée et son dos semble bouger en raison de sa respiration. La codétenue de la femme lui mentionne que la femme dort et que les ronflements de cette dernière la réveillent constamment. Plus tard, lorsque la codétenue se réveille, la femme ne ronfle plus et elle ne peut pas sentir de pouls sur son poignet. La codétenue demande un deuxième verre d'eau au gardien. Vers 22 h 07, le gardien du poste est avisé, par la codétenue de la femme, que cette dernière ne répond pas lorsqu'elle tente de la réveiller et qu'elle semble avoir perdu conscience. Le gardien ouvre la lumière et constate que le dos de la femme couchée sur le ventre ne bouge plus.
Le gardien alerte immédiatement les deux agents du SPN et ils constatent que la femme n'a plus de pouls et ne répond pas à son nom. En la retournant sur le dos, les agents constatent qu'elle a beaucoup de salive sur le visage, mais qu'il n'y a pas de trace ou d'odeur de vomi. Le corps de la femme est mou et n'a pas de décoloration visible. Ses yeux sont partiellement ouverts, mais sans vie, et sa bouche est ouverte et immobile. Selon la codétenue, le visage de la femme est blanc, ses lèvres bleues et de la mousse sort de sa bouche. Les manœuvres de réanimation sont rapidement amorcées et les premiers répondants appelés, comme il a été constaté sur les enregistrements de la caméra corporelle d'un des agents du SPN. Le défibrillateur disponible au poste n'est pas chargé. Les deux agents de la SQ sont appelés entre 22 h 10 et 22 h 15 pour porter assistance et arrivent au poste de police vers 22 h 17.
Les premiers répondants arrivent vers 22 h 18. Pendant l'intervention, une agente de la SQ, en sécurisant les jambes de la femme, trouve dans ses pantalons une bouteille d'alcool fort pleine au quart. Un défibrillateur est placé sur la femme, mais aucun choc n'est administré. Les premiers répondants quittent avec la femme en direction de la clinique vers 22 h 26 et poursuivent les manœuvres de réanimation. Vers 22 h 28, la femme arrive à la clinique médicale et son décès est constaté à 22 h 40.
Des procédures et pratiques policières prévoient qu'une personne doit toujours être présente au poste pour assurer la surveillance des détenus et qu'un rapport de surveillance doit être rempli. Une ronde doit être faite au minimum toutes les 15 minutes. Elle doit se faire plus fréquemment si l'état des détenus le nécessite. En l'espèce, aucune preuve ne fait état de la fréquence exacte à laquelle les policiers ont observé la femme.
La femme est connue pour des crises d'épilepsie. Le rapport d'autopsie conclut à l'absence de lésion traumatique et de lésion anatomique pouvant expliquer le décès. Il conclut également à l'absence d'intervention d'un tiers pouvant expliquer le décès. Le rapport de toxicologie révèle une concentration élevée d'alcool dans le sang, soit 377 mg/100 ml, et la présence de THC. Le pathologiste conclut que le décès est attribuable à une intoxication aiguë à l'éthanol.
Analyse du DPCP
Le paragraphe 215(1) C.cr. crée des obligations destinées à la protection des individus vulnérables qui sont sous les soins, le contrôle ou la garde d'autrui. Plus précisément, l'alinéa 215(1)(c) C.cr. impose aux policiers de protéger les personnes qui sont sous leur garde en leur fournissant les « choses nécessaires à l'existence ».
Commet une infraction quiconque étant soumis à une obligation légale au sens du paragraphe 215(1)(c) C.cr., omet, sans excuse légitime, d'accomplir cette obligation, et si l'omission d'exécuter l'obligation met en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de celle-ci.
La jurisprudence a défini l'expression comme signifiant les choses nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des personnes contre le préjudice ou le risque de préjudice, lequel doit être raisonnablement prévisible et de nature plus que mineur ou transitoire. À titre d'exemple, les soins médicaux qui sont nécessaires pour protéger la santé ou la sécurité d'une personne détenue (arrestation, transport, cellule) contre un préjudice ou un risque de préjudice.
Ainsi, la preuve de cette infraction dans un contexte de détention policière requiert que la poursuite démontre hors de tout doute raisonnable chacun des éléments suivants :
- Le policier était soumis à l'obligation légale de fournir les choses nécessaires à l'existence de la personne pendant qu'elle était sous sa garde;
- Le policier n'a pas fourni les choses nécessaires à l'existence;
- Le manquement à l'obligation de fournir les choses nécessaires à l'existence a mis en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne;
- La conduite du policier a représenté un écart marqué par rapport au comportement d'un policier raisonnable dans des circonstances où il était objectivement prévisible que le fait de ne pas fournir de soins médicaux à la personne mettait sa vie en danger ou était de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne.
Le caractère raisonnable de la conduite de l'accusé s'apprécie en fonction de sa situation, des circonstances particulières et selon une norme objective, c'est-à-dire une norme de la société.
L'analyse de l'ensemble de la preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers ont omis de fournir des choses nécessaires à l'existence d'une personne à leur charge.
En effet, le préjudice n'était pas raisonnablement prévisible et les policiers n'ont pas fait preuve d'un écart marqué par rapport à ce qu'un policier raisonnablement prudent aurait fait dans les mêmes circonstances.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPN impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
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Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, dpcp.relations.medias@dpcp.gouv.qc.ca
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