Enquête indépendante sur l'événement survenu à Longueuil le 26 juin 2022 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 20 févr. 2023 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de l'agglomération de Longueuil (SPAL).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Longueuil le 26 juin 2022 à la suite duquel le décès d'un homme a été constaté le 27 juin 2022.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Le 26 juin 2022 à 23 h 35, un appel au 911 est fait par un employé d'un commerce situé sur le boulevard Cousineau, à Longueuil, concernant une altercation entre deux hommes dans le stationnement du commerce. L'information communiquée indique qu'un des hommes est armé d'un bâton. À 23 h 36, l'appel est pris en charge par un sergent se trouvant à proximité des lieux.
À 23 h 40, le sergent localise l'homme armé sur le terre-plein. Il tient dans ses mains une longue barre métallique et la remue dans le vide en criant. Le sergent se stationne sur le terre-plein, allume les lumières blanches et sort de son véhicule pour se positionner à l'arrière de celui-ci du côté passager, de manière à créer une barricade.
L'homme s'avance vers le sergent d'une manière menaçante, armé de la barre métallique, en émettant des cris et des grognements. Constatant le comportement de l'homme, qui démontre des signes de délirium agité (sudation, cri, grognement), le sergent sort son arme de service.
Alors que l'homme passe devant le véhicule de patrouille à une distance d'environ six mètres, en regardant le sergent et en grognant, ce dernier pointe son arme à feu vers l'homme en s'identifiant comme policier et demande à l'homme de se coucher par terre sans obtenir de collaboration. Alors que l'homme marche d'un pas décidé vers le boulevard Cousineau, le sergent remarque qu'il ne tient plus la barre dans ses mains. Le sergent se déplace donc également vers le boulevard Cousineau en continuant d'ordonner à l'homme de s'arrêter et de se coucher par terre.
L'homme ne collabore toujours pas et se retrouve sur le boulevard Cousineau. Malgré la faible circulation, la situation est dangereuse car il risque de se faire frapper par un véhicule.
L'homme s'arrête sur le boulevard Cousineau et considérant que celui-ci n'a plus la barre à la main, le sergent range son arme à feu. L'homme, grand et corpulent, se place en position de combat, les poings placés en style de boxe et fait signe au sergent de s'approcher. L'homme est en grande sudation, sautille et semble prêt à foncer.
Le sergent est d'avis que l'utilisation du bâton télescopique lui permettra de garder une certaine distance pour effectuer une ou des frappes visant à obtenir la soumission de l'homme, et ce, dans l'objectif de l'éloigner des voies de circulation et de lui venir aide par la suite.
Le sergent assène au total trois frappes à l'intérieur de la cuisse droite de l'homme à l'aide du bâton télescopique. À la troisième frappe, l'homme se met à reculer très rapidement en criant pour finalement tomber au sol sur le dos.
Afin d'empêcher l'homme de se relever, le sergent se rapproche rapidement à la droite de l'homme afin de contrôler son bras droit et tenter de le maîtriser. L'homme saisit alors le bâton télescopique que le sergent retient d'une main. L'homme tente de frapper le sergent avec ses pieds et ensuite avec son poing droit. Le sergent ordonne à l'homme de lâcher le bâton, sans succès. Craignant alors pour sa vie si l'homme réussit à s'emparer du bâton, le sergent donne deux coups de poing au niveau du nez et des sinus de l'homme. Voyant que celui-ci ne lâche pas le bâton malgré un nouvel ordre à cet effet, il donne deux autres coups de poing au visage suivi par deux coups de genou dans les côtes de l'homme qui tient toujours le bâton.
À ce moment, un automobiliste arrête son véhicule dans la voie du centre et demande au sergent s'il a besoin d'aide. Le sergent lui demande de diriger la circulation. Un ami de l'homme s'approche alors de ce dernier pour lui crier de se calmer sans succès puisque celui-ci continue de crier et de grogner.
À la suite des coups de genou et tout en le sommant de lâcher le bâton, le sergent assène deux autres coups de poing sur le côté du nez de l'homme.
Un employé du commerce ainsi que l'automobiliste sur les lieux confirment que l'homme tentait de s'emparer du bâton télescopique du sergent.
Une policière et un policier arrivent quelques minutes plus tard sur les lieux de l'intervention afin de porter assistance à leur collègue. Ils voient ce dernier dans la voie de circulation du milieu alors qu'il chevauche un homme et lutte fortement afin de garder le contrôle de son bâton télescopique. Constatant le tout et afin de couper le souffle à l'homme, le policier effectue une première frappe de diversion, soit un coup de pied qu'il donne dans les côtes du côté droit. Le coup n'ayant pas l'effet escompté, l'agent donne deux autres coups de pied au même endroit et ordonne à l'homme de lâcher le bâton, sans succès. Il s'agenouille ensuite afin de maîtriser la tête de l'homme et sa collègue est alors également agenouillée du côté gauche.
À ce moment, l'homme lâche le bâton télescopique et est retourné sur le ventre. L'homme place alors son bras gauche sous son corps. Le policier utilise son propre bâton télescopique, en technique tourniquet et levier, afin de dégager le bras. Le policier doit pousser un ami de l'homme qui s'interpose et parle à ce dernier, car il nuit au travail des agents et refuse de reculer.
L'homme est finalement maîtrisé, couché sur le ventre et menotté par les policiers. Entre 23 h 46 et 23 h 50, trois autres duos de policiers viennent porter assistance.
L'homme est fouillé puis placé en position latérale de sécurité, moment où les policiers constatent que ce dernier est inconscient. Son corps est mou et il ne répond pas aux différents stimuli. Une ambulance est demandée et dans l'intervalle, des manœuvres de réanimation sont effectuées en alternance par les policiers. De plus, en raison de signes d'intoxication constatés sur l'homme, une dose de naloxone est également administrée par l'un des policiers afin de renverser ou bloquer, le cas échéant, les effets d'opioïdes sur l'organisme.
À 23 h 51, l'homme est pris en charge par les ambulanciers qui procèdent notamment à l'installation d'un dispositif de type LUCAS permettant un massage cardiaque. L'homme est ensuite transporté dans un centre hospitalier où son décès est déclaré peu après 6 h le lendemain.
Le rapport d'autopsie fait état d'une fracture du nez ainsi que de multiples fractures des côtes. Par ailleurs, informé que l'homme avait reçu des coups de genou et de pied aux côtes, le pathologiste est d'avis qu'en regard des fractures des côtes, celles-ci sont clairement secondaires au massage cardiaque, d'autant qu'il le fut avec un dispositif reconnu pour occasionner une dépression prononcée de la cage thoracique et donc, conséquemment, pour infliger plus de fractures de côtes qu'un massage cardiaque conventionnel.
Le pathologiste conclut qu'il n'y a pas de lésions traumatiques pouvant expliquer le décès et que la cause de celui-ci est attribuable à l'effet combiné d'une intoxication/réaction adverse à un mélange de drogues et d'une maladie coronarienne athérosclérotique sévère.
Un rapport d'expertise en toxicologie fait état d'une concentration thérapeutique de drogues dans le sang.
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées aux articles 25(1) et 25(3) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
L'article 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, l'intervention auprès de l'homme était légale et se fondait principalement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer la sécurité et la vie des personnes. L'homme était en crise, armé d'une barre de métal et pouvait s'en prendre à quelqu'un. De plus, même après avoir lâché la barre, en se dirigeant vers un boulevard situé à proximité, sa sécurité devenait en péril. Il devait donc être maîtrisé.
Les frappes du sergent à l'aide du bâton télescopique étaient justifiées en vertu de l'article 25(1) C.cr., cette force étant nécessaire pour maîtriser l'homme.
Quant aux coups de poing au visage et aux côtes, le sergent n'avait d'autre choix que d'employer la force à l'égard de l'homme qui tentait de saisir son bâton télescopique et risquait, selon toute vraisemblance, de mettre sa vie en danger. D'ailleurs, ces coups se sont avérés insuffisants pour maîtriser l'homme. Cette force était justifiée en vertu de l'article 25(3) C.cr.
Quant aux coups de pied donnés par l'agent venu prêter assistance au sergent, il s'agissait d'une frappe de diversion pour le premier coup et les deux autres coups ont été donnés pour permettre de vaincre la résistance de l'homme qui tenait toujours le bâton. Cette force était nécessaire dans les circonstances et l'ensemble de la preuve à cet égard ne permet pas de conclure que la force de ces coups était excessive.
L'emploi de la force pour la mise des menottes par les policiers était également justifié en vertu de l'article 25(1) C.cr.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les policiers était justifié en vertu des articles 25(1) et 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPAL impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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