Enquête indépendante sur l'événement survenu à Saint-Lin-Laurentides le 23 janvier 2024 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 27 nov. 2024 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par la policière de la Sûreté du Québec (SQ).
L'analyse portait sur l'événement entourant les blessures subies par un homme à Saint-Lin-Laurentides le 23 janvier 2024.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un comité composé de deux procureures aux poursuites criminelles et pénales (procureures). Ces dernières ont procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révèle la commission d'infractions criminelles. Une procureure qui a participé à l'analyse du dossier a rencontré et informé la personne blessée de la décision.
Événement
Le 23 janvier 2024, un appel est fait par la centrale ambulancière au centre de gestion des appels de la SQ, demandant l'assistance d'un patrouilleur muni d'un défibrillateur externe automatisé (DEA) pour venir en aide à une femme enceinte de 38 semaines et inconsciente. Elle indique un délai de 22 minutes avant l'arrivée de l'ambulance sur les lieux.
L'appel est réparti et assigné à une policière. Cette dernière se dirige, en déplacement d'urgence, sur les lieux munie du DEA. Un second policier obtient l'approbation de son sergent pour assister la policière, à bord de son propre véhicule de patrouille. Les deux policiers se dirigent sur les lieux, l'un à la suite de l'autre, avec les gyrophares et les sirènes activés.
Dans les minutes qui suivent, les policiers reçoivent sur les ondes l'information selon laquelle les premiers répondants sont arrivés sur les lieux et que la femme a repris conscience. Ils éteignent alors leurs gyrophares et leurs sirènes, mais continuent de se diriger sur les lieux, comme l'indique la policière sur les ondes. Dans les secondes qui suivent, un autre agent mentionne sur les ondes qu'il vient de croiser l'ambulance, et donc qu'elle ne se trouve pas à l'adresse faisant l'objet de la demande d'assistance.
Considérant la transmission de cette information, la policière et son collègue réactivent chacun leurs gyrophares et sirènes afin de se rendre sur les lieux, de nouveau en déplacement d'urgence. Ils circulent à ce moment sur la route 335 qui traverse la municipalité de Saint-Lin-Laurentides du nord au sud. Cette rue est composée de deux voies, l'une allant vers le nord et l'autre vers le sud. Au niveau de l'adresse 407 rue Saint-Isidore située dans une zone commerciale, la limite de vitesse est fixée à 50 km/h. Quelques dizaines de mètres plus loin, la vitesse augmente à 70 km/h.
À ce moment, la policière circule en direction sud sur la route 335 et effectue un dépassement en empruntant la voie en contresens (direction nord). Elle circule alors à une vitesse d'environ 90 km/h. Lorsqu'elle effectue son dépassement, elle entre en collision latérale avec un véhicule. Ce dernier circule en direction sud sur la route 335 et au moment de la collision, il effectue un virage à gauche afin de se rendre dans le stationnement d'un commerce, situé sur le bord de la route, à la hauteur de l'adresse 407. Il traverse donc la voie en direction nord, soit celle empruntée par la policière.
Dans la minute qui suit, le second policier arrive sur les lieux et se dirige vers le véhicule accidenté. Des civils se trouvant sur place aident à dégager la portière, du côté passager du véhicule, bloquée par la neige. Le conducteur du véhicule crie lorsque le policier le déplace hors de son véhicule. Environ trente minutes plus tard, les ambulanciers prennent en charge l'homme qui est transporté vers un centre hospitalier. En soirée, ce dernier est transféré dans un autre centre hospitalier spécialisé en polytraumatismes.
Analyse du DPCP
L'infraction de conduite dangereuse, décrite à l'article 320.13 du Code criminel, se définit comme le fait de conduire un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public, en tenant compte des circonstances, incluant l'utilisation qui en est faite, la nature et l'état du lieu ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu. Le test applicable en matière de conduite dangereuse a été établi par la Cour suprême et prévoit que la preuve doit démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite qui doit être évalué, indépendamment des conséquences d'une collision ou d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule.
La preuve doit également établir que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les mêmes circonstances, en l'occurrence, un policier. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ainsi, une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un individu.
L'accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou la mort exige la preuve d'un lien de causalité entre la conduite du véhicule et de telles conséquences. À cet égard, la norme juridique applicable est que la conduite doit avoir contribué de manière appréciable aux lésions corporelles ou à la mort.
Par ailleurs, le Code de la sécurité routière (CSR) contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 précise que le conducteur d'un véhicule d'urgence ne doit actionner les feux clignotants ou pivotants, ou les avertisseurs sonores, ou un dispositif de changement des signaux lumineux de circulation visés à l'article 255 dont est muni son véhicule, que dans l'exercice de ses fonctions et si les circonstances l'exigent. Il n'est alors pas tenu de respecter certaines dispositions du CSR.
Dans ce dossier, la conduite de la policière, lorsqu'examinée à l'aune de toutes les circonstances ne permet pas de conclure à une conduite dangereuse au sens du droit criminel.
La policière effectue sa manœuvre dans une zone où la route est une ligne droite, sans rue adjacente, avec une bonne visibilité et une chaussée dégagée. Les enregistrements vidéo de l'accident démontrent également la faible densité de la circulation au moment des événements. Lors de l'intervention, la vitesse maximale enregistrée par le module des coussins gonflables du véhicule de patrouille est de 104 km/h et celle enregistrée au moment de la collision est de 83 km/h, alors que la limite de vitesse dans cette zone est de 50 km/h sur quelques mètres et ensuite de 70 km/h. Le CSR lui permet d'effectuer un dépassement dans une voie allant en sens inverse et en circulant en excès de vitesse, dans une situation d'urgence. Au moment d'effectuer son dépassement, la policière répond à une demande d'assistance qui est objectivement urgente, considérant que la vie d'une femme enceinte de 38 semaines est en jeu.
Lors de son déplacement, la policière actionne ses gyrophares et sa sirène afin d'aviser les autres utilisateurs de la route de sa présence. Son collègue fait de même. Il y a donc deux véhicules de patrouille avec gyrophares et sirènes en fonction. Les véhicules croisés avant la collision cèdent le passage aux véhicules de patrouille, ce qui permet d'inférer que les utilisateurs de la route ont conscience de leur arrivée et sont en mesure d'entendre les sirènes.
Dans ce contexte, il était raisonnable pour la policière d'estimer que la manœuvre pouvait être effectuée sans danger.
En outre, au regard des présentes circonstances, la conduite de la policière ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable que respecterait un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances.
La policière, consciente des risques provoqués par sa conduite, prend les mesures qu'un policier raisonnable aurait prises afin de réduire le risque engendré par la manœuvre effectuée lors de son déplacement d'urgence. Elle actionne ses gyrophares et sa sirène lorsqu'elle circule au-delà de la limite de vitesse permise. Dès la réception d'information voulant que les premiers répondants soient arrivés sur les lieux, elle réduit sa vitesse et éteint ses gyrophares et sa sirène. Lorsqu'elle est informée de l'inexactitude de cette première information, elle accélère de nouveau en allumant ses gyrophares et sa sirène. La policière adapte donc sa conduite à l'évolution de la situation, comme un policier raisonnable doit le faire.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par la policière de la SQ impliquée dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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