Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation dans le dossier de l'enquête indépendante instituée à la suite de l'événement du 13 février 2015, survenu à East Angus, dans lequel un homme est décédé
QUÉBEC, le 18 févr. 2016 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport d'enquête produit par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), dans le cadre d'une enquête indépendante relative aux circonstances entourant une intervention policière, survenue le 13 février 2015, dans laquelle un homme est décédé, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que les policiers de la Sûreté du Québec (SQ) impliqués dans cet événement n'ont commis aucune infraction criminelle.
Conformément à la directive POL-1 du DPCP, l'examen du rapport d'enquête a été confié à un comité composé de trois procureurs. Ces derniers ont procédé à un examen exhaustif des faits rapportés au rapport d'enquête afin d'évaluer si ceux-ci révèlent la commission d'infractions criminelles. La décision des procureurs est basée sur le rapport d'enquête préparé par le SPVM. Les procureurs ont produit un rapport d'analyse, lequel a été soumis au directeur adjoint des poursuites criminelles et pénales pour décision. Un proche de la personne décédée a été informé des motifs de la décision par un procureur qui a participé à l'analyse du dossier.
Critères à l'origine de la décision de poursuivre
En droit criminel, le fardeau de preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal. Ainsi, après examen du rapport d'enquête, le procureur doit d'abord évaluer la suffisance de la preuve en tenant compte de l'ensemble de la preuve admissible, y compris celle qui pourrait soutenir certains moyens de défense. À l'issue de cette analyse, le procureur doit être raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité du prévenu. Le cas échéant, il considère aussi les critères relatifs à l'opportunité d'engager une poursuite au regard de l'appréciation de l'intérêt public.
La norme applicable à la décision d'entreprendre une poursuite est prévue dans la directive ACC-3 du DPCP. La plupart des poursuivants publics au Canada disposent de directives qui imposent une norme semblable. Par ailleurs, les tribunaux reconnaissent que cette norme est plus exigeante que celle des simples motifs raisonnables et probables de croire qu'une personne a commis une infraction. Ils estiment aussi qu'un seuil moins élevé permettant l'introduction d'une poursuite serait incompatible avec le rôle du poursuivant en sa qualité d'officier de justice responsable d'assurer le respect et la recherche de la justice puisque la responsabilité première du procureur consiste en effet à s'assurer que justice soit rendue. Conséquemment, le procureur ne cherche pas à obtenir une condamnation à tout prix et doit éviter de porter des accusations si la preuve est insuffisante.
Le procureur doit procéder à une appréciation professionnelle du fondement juridique d'une poursuite et ce n'est pas son opinion personnelle sur la culpabilité qui importe. Son examen doit demeurer objectif, impartial et critique. La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur de possibles fautes civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments qui lui permettent de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
Événement du 13 février 2015
Le rapport d'enquête établit essentiellement les circonstances d'un accident de la route relativement à une collision entre un véhicule de patrouille identifié à la SQ qui répondait à un appel concernant une personne en détresse et un véhicule de promenade, sur la rue East Angus Sud, à East Angus. Le conducteur du véhicule de promenade est décédé quelques jours plus tard des suites de ses blessures.
Cadre juridique
En vertu de l'article 249 du Code criminel, commet une infraction de conduite dangereuse celui qui conduit un véhicule moteur d'une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l'état du lieu, l'utilisation qui en est faite ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu.
La Cour suprême a établi le test applicable en matière de conduite dangereuse. La preuve doit d'abord démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite dans les circonstances qui doit être évaluée, indépendamment des conséquences d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule. La preuve doit aussi démontrer que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un « écart marqué » par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances, en l'espèce, un policier qui répondait à un appel concernant une personne en détresse. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ce degré de négligence constitue la question déterminante. Une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un policier ou de quiconque.
La jurisprudence établit également que l'on ne doit pas tirer de conclusions sur la façon dangereuse ou non de conduire en se fondant uniquement sur les conséquences. Bien que la vitesse puisse en soi constituer une conduite dangereuse, on doit toutefois considérer l'ensemble des facteurs entourant cette conduite.
De plus, le Code de la sécurité routière contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 précise que le conducteur d'un véhicule d'urgence ne doit actionner les feux clignotants ou pivotants ou les avertisseurs sonores ou un dispositif de changement des signaux lumineux de circulation visés à l'article 255 dont est muni son véhicule, que dans l'exercice de ses fonctions et si les circonstances l'exigent. Il n'est alors pas tenu de respecter certaines dispositions du code, dont celle relative aux limites de vitesse permises. L'article 406 stipule que le conducteur d'un véhicule routier doit céder le passage à tout véhicule d'urgence dont les signaux lumineux ou sonores sont en marche, en réduisant la vitesse de son véhicule, en serrant à droite le plus possible et, si nécessaire, en immobilisant son véhicule. Par ailleurs, l'article 350 édicte que le conducteur d'un véhicule routier qui s'apprête à effectuer un virage à gauche doit céder le passage à tout véhicule qui circule en sens inverse et qui se trouve à une distance telle qu'il y aurait danger à effectuer cette manœuvre.
Faits et conclusion
Le 13 février 2015, vers 16 h 40, un policier, qui se trouve seul à bord d'un véhicule de patrouille, répond à un appel prioritaire concernant une personne en détresse. Le véhicule de patrouille est un camion Dodge Ram clairement identifié comme un véhicule de police. Il actionne les feux d'urgence et la sirène. Il emprunte la rue East Angus en direction nord et accélère. Cette route est orientée nord-sud et la circulation se fait à contresens. Elle comporte une voie dans chaque direction, celles-ci sont séparées par une ligne simple. La visibilité est excellente, la route est en bon état et la densité de la circulation est faible.
Le policier ne voit aucun véhicule circulant devant lui ni ne s'apprêtant à sortir d'un stationnement. Après avoir dépassé un centre commercial, il estime sa vitesse à environ 80 km/h. Il aperçoit un véhicule de promenade qui arrive en sens inverse, direction sud, lequel se range lentement sur le côté de la chaussée. Le policier croit que le conducteur effectue cette manœuvre pour libérer plus d'espace pour le passage du véhicule de patrouille. Il remarque qu'aucun clignotant n'est en fonction sur ce véhicule. Par la suite, il voit l'avant de ce véhicule tourner vers le centre de la chaussée. À ce moment-là, percevant le danger, le policier applique les freins. L'avant du véhicule de patrouille percute le véhicule de promenade du côté passager, dans la voie qui est en direction nord. Les véhicules ont terminé leur course dans un monticule de neige bordant la cour d'un commerce. Il appert que le conducteur du véhicule de promenade se dirigeait dans l'entrée d'un commerce. Des citoyens sont venus leur porter assistance dans l'attente de l'arrivée des ambulanciers.
La limite de vitesse sur la rue East Angus Sud est établie à 50 km/h. Au niveau de la collision, le secteur est commercial. Selon l'expert en reconstitution de collision, les deux véhicules se sont percutés dans la voie qui est en direction nord et le véhicule de patrouille a poussé le véhicule de promenade jusqu'à son immobilisation dans un amoncellement de neige.
En ce qui concerne la mise en fonction des feux d'urgence du véhicule de patrouille, les témoins déclarent que les gyrophares étaient allumés lorsqu'ils ont constaté la collision. Certains témoins ont entendu la sirène avant la collision, d'autres non.
Les expertises sur l'analyse des modules de contrôle des coussins gonflables des deux véhicules impliqués révèlent, notamment, les faits suivants au chapitre des données pré‑impact. Entre -5.0 à -2.2 secondes, la vitesse du véhicule de patrouille varie de 101 à 100 km/h. De -2.1 à -1.4, la pédale d'accélérateur est à 0, la vitesse passe à 99 km/h. Un mouvement du volant vers la droite est observé à partir de -1.5 seconde. Le véhicule de patrouille circulait à 98 km/h à -1.3 seconde lorsque le conducteur a appuyé sur le frein. Il était à environ 31 m de l'impact. Le véhicule circule à une vitesse de 27 m par seconde à cette distance. Lors de la séquence de freinage, la vitesse passe de 98 à 68 km/h en 1.2 seconde. Selon le calcul, la vitesse est de 65 km/h à l'impact avec le véhicule de promenade. Ce dernier était immobilisé dans la voie opposée à 10.6 m du point d'impact pendant un minimum de 3 secondes. Le conducteur a simultanément accéléré et tourné vers la gauche, se plaçant dans la trajectoire du véhicule de patrouille. Au moment où il est percuté par le véhicule de patrouille, il circule à 23 km/h. Il a amorcé son déplacement pendant que le véhicule de patrouille était à 62 m du point d'impact et qu'il se déplaçait à 101 km/h.
À la lumière des faits recueillis par l'enquête, du droit applicable et de la jurisprudence, le DPCP est d'avis que, malgré la vitesse du véhicule de patrouille, le policier n'a pas commis l'infraction de conduite dangereuse compte tenu de l'ensemble des circonstances. En effet, le policier répondait à un appel prioritaire, la voie était dégagée, la chaussé état en bon état, l'intensité de la circulation était faible, le véhicule de police était identifié, ses feux d'urgence étaient activés et le policier pouvait raisonnablement croire que l'autre véhicule se rangeait en bordure de la route pour lui laisser plus de place pour passer.
Lignes directrices sur la publication des motifs
Le 11 décembre 2015, le DPCP a annoncé l'adoption de lignes directrices qui autorisent et encadrent la publication des motifs qui étayent sa décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers. La publication de ce type de motifs revêt un caractère exceptionnel qui repose non seulement sur des considérations de nature juridique, mais aussi sur l'importance de respecter la vie privée et la réputation des victimes et des personnes qui font l'objet d'une enquête lorsque la preuve est insuffisante pour permettre le dépôt d'accusations criminelles.
Ces lignes directrices justifient la publication des motifs d'une décision de ne pas porter d'accusation dans la plupart des dossiers d'enquête indépendante, c'est-à-dire lorsqu'une personne décède, subit une blessure grave ou est blessée par une arme à feu utilisée par un policier lors d'une intervention policière ou lors de sa détention par un corps de police. Outre la nature et les circonstances particulières de ce type d'événement, ces affaires peuvent être déjà, en tout ou en partie, du domaine public puisque le ministère de la Sécurité publique diffuse systématiquement un communiqué dans les heures suivant les événements impliquant les enquêtes indépendantes. Il faut considérer aussi le fait que les policiers sont investis par l'État de pouvoirs exceptionnels dans l'exercice de leurs fonctions liées à la préservation de la sécurité publique, à la protection des membres du public et à la répression du crime. Ils peuvent notamment recourir à la force nécessaire, voire même mortelle, contre un de leurs concitoyens. Les policiers sont imputables de l'exercice de ces pouvoirs dont l'attribution repose d'ailleurs sur le maintien d'un haut niveau de confiance de la part du public.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes. Pour en savoir davantage : www.dpcp.gouv.qc.ca.
Source :
Me Jean Pascal Boucher
Porte-parole
Directeur des poursuites criminelles et pénales
418 643-4085
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Jean Pascal Boucher, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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