Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation dans le dossier de l'enquête indépendante instituée à la suite de l'événement du 16 novembre 2015, survenu à Messines, dans lequel un adolescent est décédé
QUÉBEC, le 29 juin 2016 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport d'enquête produit par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans le cadre d'une enquête indépendante relative à l'événement entourant le décès par balle d'un adolescent survenu le 16 novembre 2015, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que les policiers de la Sûreté du Québec (SQ) impliqués dans cet événement n'ont commis aucune infraction criminelle.
Conformément à la directive POL-1 du DPCP, l'examen du rapport d'enquête a été confié à un comité composé de trois procureurs. Ces derniers ont procédé à un examen exhaustif des faits rapportés au rapport d'enquête afin d'évaluer si ceux-ci révèlent la commission d'infractions criminelles. La décision des procureurs est basée sur le rapport d'enquête préparé par le SPVM. Les procureurs ont produit un rapport d'analyse, lequel a été soumis au directeur adjoint pour décision finale. Des procureurs qui ont participé à l'analyse du dossier ont informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Critères à l'origine de la décision de poursuivre
En droit criminel, le fardeau de preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal. Ainsi, après examen du rapport d'enquête, le procureur doit d'abord évaluer la suffisance de la preuve en tenant compte de l'ensemble de la preuve admissible, y compris celle qui pourrait soutenir certains moyens de défense. À l'issue de cette analyse, le procureur doit être raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité du prévenu. Le cas échéant, il considère aussi les critères relatifs à l'opportunité d'engager une poursuite au regard de l'appréciation de l'intérêt public.
La norme applicable à la décision d'entreprendre une poursuite est prévue dans la directive ACC-3 du DPCP. La plupart des poursuivants publics au Canada disposent de directives qui imposent une norme semblable. Par ailleurs, les tribunaux reconnaissent que cette norme est plus exigeante que celle des simples motifs raisonnables et probables de croire qu'une personne a commis une infraction. Ils estiment aussi qu'un seuil moins élevé permettant l'introduction d'une poursuite serait incompatible avec le rôle du poursuivant en sa qualité d'officier de justice responsable d'assurer le respect et la recherche de la justice puisque la responsabilité première du procureur consiste en effet à s'assurer que justice soit rendue. Conséquemment, le procureur ne cherche pas à obtenir une condamnation à tout prix et doit éviter de porter des accusations si la preuve est insuffisante. Le procureur doit procéder à une appréciation professionnelle du fondement juridique d'une poursuite et ce n'est pas son opinion personnelle sur la culpabilité qui importe. Son examen doit demeurer objectif, impartial et critique. La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur de possibles fautes civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments qui lui permettent de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
Événement du 16 novembre 2015
L'enquête porte sur les circonstances du décès d'un adolescent survenu le 16 novembre 2015, à Messines, pendant qu'il faisait l'objet d'une intervention policière. Dans la nuit, vers 1 h 30, deux policiers à bord d'un véhicule de patrouille dûment identifié à la SQ et dont les gyrophares sont actionnés s'approchent derrière un véhicule pour l'intercepter aux fins de vérifications fondées sur la sécurité routière. Le véhicule accélère et il s'ensuit une poursuite policière sur une distance d'environ 10 km.
Selon les policiers, le conducteur du véhicule commet plusieurs infractions au Code de la sécurité routière, tant au niveau de sa vitesse que des arrêts obligatoires. Pendant la poursuite, les policiers sont informés que le numéro de la plaque d'immatriculation du véhicule ne correspond pas à celui-ci, mais à un autre modèle. Le véhicule s'engage dans un chemin sans issue. Par la suite, il sort de la route en circulant sur la pelouse d'une cour longeant des immeubles résidentiels, pour ensuite emprunter un sentier étroit, non éclairé, situé dans un boisé. Au début du sentier, le véhicule s'immobilise, le véhicule de patrouille se gare derrière lui. Des bûches de bois au sol bloquent l'accès au sentier. Les policiers sortent du véhicule de patrouille pour se diriger vers le conducteur et le passager. Le véhicule recule et entre en collision avec le véhicule de patrouille.
Un policier s'approche de la portière en tenant son arme à feu en direction du conducteur et lui ordonne de sortir de son véhicule. Puisque le conducteur ne réagit pas à l'ordre, le policier tente, sans succès, d'ouvrir la portière. Il fracasse la fenêtre de la portière et met son bras gauche dans l'habitacle pour débarrer la serrure. Au même moment, le véhicule avance alors que le conducteur tient l'avant-bras gauche du policier. Dès les premières secondes, le policier tente de se dégager, ses pieds traînent au sol pendant que le véhicule est en mouvement. Les branches des arbres le percutent de plein fouet. Il croit qu'il ne peut se laisser tomber en bas du véhicule sans se blesser gravement, considérant que le véhicule circule trop vite et qu'il y a présence d'arbres. Pour se protéger, il embarque le haut de son corps dans l'habitacle, mais il est incapable d'entrer ses jambes. Sa main droite, dans laquelle il tient son arme, entoure le conducteur par l'arrière, tandis que sa main gauche est sur le devant de celui-ci. Il a de la douleur aux jambes, lesquelles se font frapper par des arbres ou par des choses qu'il juge plus grosses que des branches. Le policier relate être persuadé qu'il va se faire tuer. Pendant l'événement, il somme le conducteur d'arrêter son véhicule à quelques reprises. Il lui dit une dernière fois d'arrêter ou il va faire feu sur lui. Il constate que le conducteur n'obtempère pas puisque le moteur du véhicule tourne à plein régime. Le policier tire un coup de feu en direction du conducteur et le véhicule s'immobilise.
L'endroit est plongé dans l'obscurité. Le policier prend sa radio pour aviser qu'il y a un blessé par balle et demande l'assistance des ambulances. Pendant ce temps, son collègue arrive à la course et s'occupe du passager. Le policier éclaire le conducteur avec une lampe de poche pour vérifier son état de santé. Il lui prodigue des manœuvres de réanimation jusqu'à l'arrivée des ambulanciers. Par la suite, avec sa lampe de poche, il éclaire les ambulanciers qui s'occupent du conducteur jusqu'à ce que des pompiers prennent sa relève. Le décès du conducteur est constaté à l'hôpital. Quant au policier, il est également transporté par ambulance à l'hôpital pour y soigner ses blessures, il a des contusions aux jambes et de la difficulté à marcher. Selon plusieurs témoins, il est en état de choc.
Les faits rapportés par les policiers sont appuyés par les diverses expertises produites dans le cadre de l'enquête et corroborés par d'autres témoins, notamment le passager du véhicule. Le sentier où s'est produit l'événement ne comporte aucune infrastructure, ni voie de circulation, ni signalisation. Il est constitué de terre, d'herbe, de feuilles mortes et bordé d'arbustes et d'arbres. Le policier a été traîné par le véhicule sur une distance d'environ 62 mètres. Les traces laissées par le véhicule dans le sentier démontrent qu'il a circulé à l'extrémité gauche de celui-ci, très près de la végétation. Le pathologiste conclut que le décès est attribuable à un traumatisme cervico-thoracique avec atteinte vasculaire secondaire au passage d'un projectile d'arme à feu, tiré de très près, au cou en antérieur.
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'article 25 du Code criminel sont remplies. Cette disposition accorde une protection à l'agent de la paix qui emploie la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances. Cette disposition précise qu'il est interdit au policier d'utiliser une trop grande force, c'est-à-dire une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu'il ne croie que cette force soit nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre de telles conséquences.
Les tribunaux ont clairement établi que l'utilisation de la force ne devait pas être appréciée par rapport à une norme de perfection puisque les policiers sont souvent appelés à agir en urgence dans des situations explosives et en évolution rapide. À cet égard, on ne s'attend pas à ce que le policier mesure le degré de force appliquée avec précision. En outre, les policiers ne sont pas tenus d'utiliser uniquement le minimum de force nécessaire à l'atteinte de leur objectif, mais le degré de force employée doit être évalué en fonction des critères de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité en tenant compte du contexte particulier de chaque affaire. Une utilisation de la force juridiquement acceptable est celle qui n'est pas gratuite et qui est appliquée de façon mesurée.
L'intervention policière était légale. Le policier qui a fait feu croyait qu'il avait des motifs raisonnables d'estimer que la force appliquée contre le conducteur du véhicule était nécessaire pour sa propre protection contre la mort ou l'infliction de lésions corporelles graves. Considérant l'ensemble de la preuve, le DPCP estime que cette croyance était plausible et qu'elle s'appuyait sur des motifs raisonnables.
Lignes directrices sur la publication des motifs
Le 11 décembre 2015, le DPCP a annoncé l'adoption de lignes directrices qui autorisent et encadrent la publication des motifs qui étayent sa décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers. La publication de ce type de motifs revêt un caractère exceptionnel qui repose non seulement sur des considérations de nature juridique, mais aussi sur l'importance de respecter la vie privée et la réputation des victimes et des personnes qui font l'objet d'une enquête lorsque la preuve est insuffisante pour permettre le dépôt d'accusations criminelles.
Ces lignes directrices justifient la publication des motifs d'une décision de ne pas porter d'accusation dans la plupart des dossiers d'enquête indépendante, c'est-à-dire lorsqu'une personne décède, subit une blessure grave ou est blessée par une arme à feu utilisée par un policier lors d'une intervention policière ou lors de sa détention par un corps de police. Outre la nature et les circonstances particulières de ce type d'événement, ces affaires peuvent être déjà, en tout ou en partie, du domaine public puisque le ministère de la Sécurité publique diffuse systématiquement un communiqué dans les heures suivant les événements impliquant les enquêtes indépendantes. Il faut considérer aussi le fait que les policiers sont investis par l'État de pouvoirs exceptionnels dans l'exercice de leurs fonctions liées à la préservation de la sécurité publique, à la protection des membres du public et à la répression du crime. Ils peuvent notamment recourir à la force nécessaire, voire même mortelle, contre un de leurs concitoyens. Les policiers sont imputables de l'exercice de ces pouvoirs dont l'attribution repose d'ailleurs sur le maintien d'un haut niveau de confiance de la part du public.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes. Pour en savoir davantage : www.dpcp.gouv.qc.ca.
Source :
Me Jean Pascal Boucher
Porte-parole
Directeur des poursuites criminelles et pénales
418 643-4085
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Jean Pascal Boucher, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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