Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation dans le dossier de l'enquête indépendante instituée à la suite de l'événement du 4 juillet 2015, survenu à Saint-Jean-Port-Joli et à La Pocatière, lors duquel un homme est décédé
QUÉBEC, le 22 sept. 2016 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport d'enquête produit par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) dans le cadre d'une enquête indépendante relative à l'événement entourant le décès d'un homme survenu le 4 juillet 2015, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que les policiers de la Sûreté du Québec (SQ) impliqués dans cet événement n'ont commis aucune infraction criminelle.
Conformément à la directive POL-1 du DPCP, l'examen du rapport d'enquête a été confié à un comité composé de deux procureurs. Ces derniers ont procédé à un examen exhaustif des faits rapportés au rapport d'enquête afin d'évaluer si ceux-ci révèlent la commission d'infractions criminelles. La décision des procureurs est basée sur le rapport d'enquête préparé par le SPVQ. Les procureurs ont produit un rapport d'analyse, lequel a été soumis au directeur adjoint pour décision finale. Un procureur qui a participé à l'analyse du dossier a informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Critères à l'origine de la décision de poursuivre
En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal. Ainsi, après examen du rapport d'enquête, le procureur doit d'abord évaluer la suffisance de la preuve en tenant compte de l'ensemble de la preuve admissible, y compris celle qui pourrait soutenir certains moyens de défense. À l'issue de cette analyse, le procureur doit être raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité du prévenu. Le cas échéant, il considère aussi les critères relatifs à l'opportunité d'engager une poursuite au regard de l'appréciation de l'intérêt public.
La norme applicable à la décision d'entreprendre une poursuite est prévue dans la directive ACC-3 du DPCP. La plupart des poursuivants publics au Canada disposent de directives qui imposent une norme semblable. Par ailleurs, les tribunaux reconnaissent que cette norme est plus exigeante que celle des simples motifs raisonnables et probables de croire qu'une personne a commis une infraction. Ils estiment aussi qu'un seuil moins élevé permettant l'introduction d'une poursuite serait incompatible avec le rôle du poursuivant en sa qualité d'officier de justice responsable d'assurer le respect et la recherche de la justice puisque la responsabilité première du procureur consiste en effet à s'assurer que justice soit rendue. Conséquemment, le procureur ne cherche pas à obtenir une condamnation à tout prix et doit éviter de porter des accusations si la preuve est insuffisante. Le procureur doit procéder à une appréciation professionnelle du fondement juridique d'une poursuite et ce n'est pas son opinion personnelle sur la culpabilité qui importe. Son examen doit demeurer objectif, impartial et critique. La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur de possibles fautes civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments qui lui permettent de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
Événement du 4 juillet 2015
Dans la nuit du 4 juillet 2015, vers 2 h 55, quatre policiers de la SQ répondent à un appel concernant les agissements d'un homme dans un bar situé à Saint-Jean-Port-Joli. Ils sont informés que l'homme se trouve à l'extérieur du bar, qu'il est très violent, en état d'ébriété et qu'il a agressé quelques personnes. Sur place, les policiers rencontrent l'homme à l'extérieur du commerce. Ce dernier est très corpulent et musclé, il pèse environ 270 livres. Il est en crise et intoxiqué. Il invite une personne à l'intérieur du bar à se battre et il fracasse avec sa main la vitre d'une porte patio du commerce. Les policiers parlent avec lui et réussissent à le calmer. Pendant la conversation, l'homme tient à maintes reprises des propos suicidaires. Un policier demande donc l'assistance d'une ambulance sur les lieux. Dans l'attente de l'ambulance, les policiers discutent avec l'homme pendant près de 30 minutes. Ils tentent de le convaincre de se rendre à l'hôpital, du moins pour soigner sa main, mais il ne se montre pas réceptif. Finalement, il accepte de collaborer. Il monte à bord de l'ambulance en compagnie de deux policiers. Les autres policiers se rendent également à l'hôpital pour les assister.
À son arrivée à 4 h 20, à l'Hôpital Notre-Dame-de-Fatima à La Pocatière, l'homme descend par lui-même de l'ambulance et se rend vers la salle d'isolement située à l'urgence en compagnie des policiers. Ce dernier est très volubile, il exprime ses frustrations. Pendant que les policiers le surveillent, l'homme se tient debout dans la porte d'entrée de la salle d'isolement, il parle fort et renverse du mobilier. Il est agressif. Vers 5 h, un médecin vient l'examiner, il ne coopère pas. Il réagit violemment lorsque le médecin l'avise qu'il doit demeurer hospitalisé. Il est en colère, il manifeste notamment son désaccord en frappant à coups de poing du mobilier. Les policiers tentent verbalement de le calmer. Il pointe les policiers en affirmant qu'il allait s'en prendre à eux. Il fonce vers les policiers et il sort de la salle d'isolement. Les cinq policiers le maîtrisent physiquement et l'amènent au sol en le dirigeant à l'intérieur de la salle d'isolement. Ils le couchent au sol. Il est très agité, non coopératif et il offre une très forte résistance. Les policiers le maîtrisent. Le personnel médical lui administre à deux reprises de la médication. Les policiers l'invitent à se calmer, il est toujours agité, il crie. Les policiers le tournent sur le côté gauche et lui mettent des menottes les mains dans le dos. Ils utilisent deux paires de menottes attachées, car sa corpulence ne permet pas l'usage d'une seule paire. Les policiers le maintiennent à cinq au sol parce qu'il bouge et crie sans cesse. Un peu plus tard, les policiers l'assoient au sol, menottes au dos, et ils l'adossent à un banc. Au cours de sa surveillance par les policiers, l'homme est conscient et agressif. Les policiers interviennent pour qu'il reste dans la salle d'isolement. L'homme s'est endormi après l'administration d'un médicament par un membre du personnel médical. Les policiers l'ont démenotté et ils ont quitté l'hôpital. Selon l'information consignée au rapport des policiers, personne n'a été blessé pendant l'intervention. L'homme ne présentait aucune blessure au visage, ni au corps, toutefois il saignait aux jointures des mains.
Le matin, vers 8 h 17, à la demande du personnel de l'hôpital, des policiers se présentent sur place. Leur assistance est requise afin de transférer l'homme dans un autre hôpital pour qu'il soit pris en charge par un psychiatre. Vers 8 h 33, les policiers entendent du bruit provenant de la salle d'isolement. Le personnel médical et les policiers regardent par la fenêtre de la salle. L'homme est couché au sol, près de la porte. Les policiers sont informés que l'homme sera finalement transféré dans un autre hôpital plus tard au cours de la journée. Vers 8 h 40, avant de quitter l'hôpital, les policiers accompagnent un médecin dans la salle d'isolement afin qu'il examine l'état de l'homme. Ce dernier ne présente pas de signes vitaux, il est transporté en salle de réanimation. Des policiers se relèguent auprès du personnel médical pour participer aux manœuvres de réanimation. Vers 9 h 40, un médecin constate le décès de l'homme.
Les faits relatés par les policiers sont compatibles avec les vidéos des caméras de surveillance de l'hôpital, lesquelles permettent de visualiser en grande partie l'intervention des policiers auprès de l'homme.
Le pathologiste qui a procédé à l'autopsie conclut que la cause du décès est attribuable à un infarctus du myocarde. L'âge de cet infarctus est estimé entre 4 et 12 heures avant le décès. Deux facteurs prédisposant à l'infarctus ont été observés : athérosclérose sévère et significative de l'artère interventriculaire antérieure et de l'artère circonflexe avec sténoses obstruant jusqu'à 75 % de leurs lumières et cardiomégalie chez un homme prenant probablement des stéroïdes et faisant probablement de la musculation. Par ailleurs, plusieurs signes de traumatismes externes mineurs ont été constatés, plus particulièrement des érosions à la face dorsale du pouce gauche, à la face antérieure de la jambe droite et à la face interne du bras droit, une lacération à l'articulation métacarpo-phalangienne du majeur droit et une dépression linéaire au cuir chevelu. Lors de l'expertise toxicologique, plusieurs substances ont été retrouvées dans les échantillons sanguins, mais aucun n'atteint le seuil toxique.
Le cadre de l'analyse s'appuie sur l'article 25 du Code criminel. Cette disposition accorde une protection à l'agent de la paix qui emploie la force dans l'application ou l'exécution de la loi. Le paragraphe 25(1) indique essentiellement qu'un policier est fondé à utiliser la force dans l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Les tribunaux ont clairement établi que l'utilisation de la force ne devait pas être appréciée par rapport à une norme de perfection, puisque les policiers sont souvent appelés à agir en urgence dans des situations explosives et en évolution rapide. À cet égard, on ne s'attend pas à ce que le policier mesure le degré de force appliquée avec précision. En outre, les policiers ne sont pas tenus d'utiliser uniquement le minimum de force nécessaire à l'atteinte de leur objectif, mais le degré de force employée doit être évalué en fonction des critères de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité en tenant compte du contexte particulier de chaque affaire. Une utilisation de la force juridiquement acceptable est celle qui n'est pas gratuite et qui est appliquée de façon mesurée.
L'intervention des policiers était légale. Elle se fonde principalement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer la sécurité et la vie des personnes. Les policiers croyaient qu'ils avaient des motifs raisonnables d'estimer que la force appliquée contre l'homme était nécessaire pour l'empêcher de quitter l'hôpital comme suite à une décision d'un médecin. Considérant l'ensemble de la preuve, le DPCP estime que cette croyance était plausible et qu'elle s'appuyait sur des motifs raisonnables. La force employée par les policiers n'était pas excessive dans les circonstances. La preuve recueillie démontre que les policiers n'ont causé aucune lésion corporelle à l'homme. Également, elle ne permet aucunement d'établir un lien de causalité entre sa mort et l'intervention policière.
Lignes directrices sur la publication des motifs
Le 11 décembre 2015, le DPCP a annoncé l'adoption de lignes directrices qui autorisent et encadrent la publication des motifs qui étayent sa décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers. La publication de ce type de motifs revêt un caractère exceptionnel qui repose non seulement sur des considérations de nature juridique, mais aussi sur l'importance de respecter la vie privée et la réputation des victimes et des personnes qui font l'objet d'une enquête lorsque la preuve est insuffisante pour permettre le dépôt d'accusations criminelles.
Ces lignes directrices justifient la publication des motifs d'une décision de ne pas porter d'accusation dans la plupart des dossiers d'enquête indépendante, c'est-à-dire lorsqu'une personne décède, subit une blessure grave ou est blessée par une arme à feu utilisée par un policier lors d'une intervention policière ou lors de sa détention par un corps de police. Outre la nature et les circonstances particulières de ce type d'événement, ces affaires peuvent être déjà, en tout ou en partie, du domaine public puisque le ministère de la Sécurité publique diffuse systématiquement un communiqué dans les heures suivant les événements impliquant les enquêtes indépendantes. Il faut considérer aussi le fait que les policiers sont investis par l'État de pouvoirs exceptionnels dans l'exercice de leurs fonctions liées à la préservation de la sécurité publique, à la protection des membres du public et à la répression du crime. Ils peuvent notamment recourir à la force nécessaire, voire même mortelle, contre un de leurs concitoyens. Les policiers sont imputables de l'exercice de ces pouvoirs dont l'attribution repose d'ailleurs sur le maintien d'un haut niveau de confiance de la part du public.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes. Pour en savoir davantage : www.dpcp.gouv.qc.ca.
Source :
Me Jean Pascal Boucher
Porte-parole
Directeur des poursuites criminelles et pénales
418 643-4085
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Jean Pascal Boucher, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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