Enquête indépendante sur l'événement survenu à Gatineau le 8 janvier 2021 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 3 nov. 2023 /CNW/ - Un verdict ayant été rendu par le tribunal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à ne pas déposer d'accusation dans ce dossier.
Rappelons qu'il concluait, dans son communiqué intérimaire du 28 février 2022, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG). Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement entourant les blessures subies par un homme à Gatineau le 8 janvier 2021.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de la preuve, ainsi que celle présentée devant le tribunal, afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. La procureure a informé la personne blessée de la décision.
Événement
Le vendredi 8 janvier 2021, peu avant 15 h 48, deux policiers du SPVG circulent en véhicule de patrouille sur la rue Bellehumeur en direction nord. Alors qu'ils traversent l'intersection sur le feu vert, un petit véhicule noir, circulant rapidement sur le boulevard Maloney vers l'ouest, leur coupe la route avant de s'engager sur la rue Bellehumeur direction sud. Le conducteur du véhicule de patrouille donne un coup de volant pour éviter une collision. Il fait demi-tour et débute une poursuite en activant sirène et gyrophares. Le véhicule ne s'arrête pas, mais tourne plutôt à droite sur le chemin de la Savane.
Moins d'une minute après avoir avisé qu'ils tenteraient de rattraper le véhicule, les policiers annoncent l'annulation de la poursuite sur les ondes radio pour des motifs de sécurité du public. Le véhicule fuyard poursuit sa route et tourne à droite sur le boulevard Maloney vers l'est. Le véhicule de patrouille, sirène et gyrophares éteints, tourne également dans cette direction.
À l'intersection suivante, soit celle du boulevard Maloney et du boulevard Gréber, une collision a lieu entre le véhicule fuyard et un autre véhicule traversant au feu vert. Les policiers constatent la collision au loin et s'approchent des lieux.
Le véhicule de patrouille est immobilisé à quelques mètres du véhicule fuyard, celui-ci ayant terminé sa course sur un terre-plein en bordure des voies de circulation. Un homme sort de ce véhicule par la fenêtre du côté conducteur et retourne rapidement dans le véhicule par la même fenêtre.
Les policiers s'approchent à pied du véhicule. L'un des policiers sort l'arme à impulsion électrique et constate par la fenêtre complètement détruite qu'un homme retient une femme assise sur lui en tenant un couteau de type exacto (exacto) au niveau de sa gorge. L'homme dit qu'il va tuer la femme. Il est sommé par le policier de lâcher son couteau, sans succès. La femme crie et pleure. Les policiers annoncent sur les ondes qu'il s'agit maintenant d'une prise d'otage.
Le moteur du véhicule fait quelques révolutions indiquant que quelqu'un à l'intérieur appuie sur l'accélérateur. Le policier utilise son arme à feu à deux reprises afin de crever les pneus arrière et avant du côté conducteur et empêcher ainsi la fuite du véhicule.
Le même policier s'avance ensuite vers la fenêtre du côté conducteur et somme de nouveau l'homme de lâcher son couteau. Ce dernier n'obtempère pas et réitère qu'il va tuer la femme. Ne pouvant atteindre à ce moment la tête de l'homme sans risque de blesser la femme, le policier fait feu à plusieurs reprises au niveau du flanc gauche de l'homme. La menace persiste malgré les tirs successifs. Constatant que l'homme tient toujours l'exacto à la gorge de la femme, il place son arme à feu au niveau de la tête de l'homme. Il réalise aussi à ce moment qu'il doit recharger son arme, car il n'a plus de munitions. Il se recule, effectue un changement de chargeur dans l'arme, puis s'avance de nouveau dans l'habitacle. Il place son arme du côté gauche de la tête de l'homme. Il fait feu une première fois, puis, ratant sa cible, fait feu une seconde fois toujours au niveau de la tête.
L'homme est atteint et devient amorphe. Les tirs cessent aussitôt. Les deux policiers sortent rapidement la femme par la fenêtre du côté conducteur. Deux autres policiers arrivés sur les lieux peu après la collision sortent ensuite l'homme par la fenêtre du passager et lui prodiguent les premiers soins.
Les ambulanciers prennent la relève des soins peu de temps après. L'homme et la femme sont tous les deux transportés dans un centre hospitalier.
Des automobilistes immobilisés à proximité du véhicule fuyard après la collision ont vu, de leur position respective, la scène, en tout ou en partie. Leurs déclarations aux enquêteurs du BEI permettent de confirmer que l'homme a tenté de fuir les lieux et qu'il a ensuite pris la femme en otage dans la voiture, en la tenant sur lui, alors qu'il tenait un objet dans sa main au niveau du cou de cette dernière. Trois vidéos permettent également de constater des mouvements dans le véhicule au moment où le policier commence les tirs, et ce, jusqu'au dernier coup de feu.
La preuve révèle que l'exacto ne comportait pas de lame. Ce constat ne sera toutefois effectué qu'après les tirs d'arme à feu.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées aux articles 25(1) et 25(3) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
L'article 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
L'intervention auprès du véhicule accidenté était légale. Premièrement, il y avait lieu de s'enquérir de l'état des passagers. Il y avait également lieu de procéder à l'arrestation du conducteur tenant compte de sa conduite dangereuse. Quelques secondes après que l'homme ait sauté dans le véhicule, l'un des policiers constate que celui-ci empoigne la femme par le cou et tient un exacto au niveau de la gorge de celle-ci en disant qu'il va la tuer. Le policier somme l'homme de lâcher son couteau, sans succès et entend ensuite le moteur révolutionner. Sa décision de faire feu dans les deux pneus était justifiée dans les circonstances afin d'empêcher la fuite du véhicule.
Ensuite, en dirigeant son attention à l'intérieur de l'habitacle, le policier constate que la femme est toujours tenue en otage et menacée de subir des lésions corporelles graves ou la mort. L'homme est de nouveau sommé de lâcher son couteau, sans succès. La situation commandait clairement une action immédiate pour mettre fin à la menace. C'est dans ce contexte que de nombreux tirs à bout portant ont été faits au flanc gauche de l'homme. La preuve confirme par ailleurs que ces coups de feu successifs ont été insuffisants pour neutraliser la menace, l'homme armé d'un exacto maintenant toujours la femme en otage. C'est seulement à la suite de deux autres tirs au niveau de la tête de l'homme, dont un ne l'a pas atteint, que l'homme a cessé de représenter une menace pour la vie de la femme. Les tirs ont cessé dès que l'homme est devenu amorphe.
L'exacto ne comportait pas de lame. Ce constat n'est ici d'aucune importance. La croyance du policier en la présence d'une lame était plus que plausible. Le policier ne pouvait probablement pas faire ce constat de sa position et, par ailleurs, il est possible de blesser gravement quelqu'un avec l'objet tel qu'utilisé.
Dans un événement donné, le nombre et la séquence des tirs, en regard de la justification légale, doivent s'apprécier à la lumière de toutes les circonstances. Ici, la preuve permet de conclure que chacun des tirs visait à neutraliser la menace et que celle-ci a persisté jusqu'au dernier coup de feu, porté à la tête.
Considérant le danger auquel la femme était exposée, le défaut de l'homme d'obtempérer ainsi que la croyance à l'effet que l'homme tenait un exacto muni d'une lame, le policier avait des motifs raisonnables d'estimer que l'utilisation de l'arme à feu de la manière décrite à l'endroit de l'homme était nécessaire pour protéger la femme contre des lésions corporelles graves ou la mort.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les policiers était justifié en vertu des articles 25(1) et 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPVG impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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