Enquête indépendante sur l'événement survenu à Grandes-Piles le 2 septembre 2022 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 19 juin 2023 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Grandes-Piles le 2 septembre 2022 à la suite duquel le décès d'un homme a été constaté.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un procureur aux poursuites criminelles et pénales (procureur). Ce dernier a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. Le procureur a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Vers 8 h 03 le 2 septembre 2022, un policier qui n'est pas en fonction avise la SQ qu'il se trouve sur l'autoroute 55, direction nord (55-N), et vient d'être dépassé par un véhicule bourgogne qui effectue des manœuvres dangereuses à environ 200 km/h.
Un duo de policiers (A et B) muni d'un cinémomètre se déplace vers le kilomètre 216 de l'autoroute 55-N et immobilise son véhicule derrière un viaduc. À 8 h 09, il capte la vitesse du véhicule à 192 km/h. Les policiers s'engagent sur l'autoroute pour tenter de rattraper l'homme.
Quelques kilomètres plus loin, un troisième policier (C) amorce une « patrouille de rétention », une technique pour ralentir la circulation sur l'autoroute. La manœuvre fonctionne et des véhicules roulent bientôt à vitesse réduite derrière l'autopatrouille. Le véhicule bourgogne s'approche des voitures et dépasse celle-ci en utilisant l'accotement de droite. Sa vitesse est estimée à 180 km/h.
Constatant que l'homme poursuit sa conduite dangereuse, le policier C enclenche une poursuite routière à 8 h 12. Les conditions routières sont bonnes et la circulation est faible. Le véhicule des policiers A et B le rejoint et agit comme véhicule de protection. Ensemble, ils suivent le véhicule bourgogne. Les corps policiers avoisinants sont avisés de la situation.
La poursuite s'étire sur un peu plus de 6 kilomètres. Les véhicules roulent entre 160 et 205 km/h, ralentissant à l'approche du pont des Piles et du rond-point qui le succède. À cet endroit, l'autoroute 55-N devient une route à double sens, la route 155.
L'homme au volant du véhicule ralentit au rond-point puisqu'un véhicule blanc y est immobilisé pour céder le passage à un camion lourd. Le véhicule bourgogne embarque sur le terrassement extérieur pour contourner le véhicule blanc. L'homme et le camion freinent brusquement pour éviter un accident. Le véhicule bourgogne reprend sa route en contournant le camion, accélérant de plus belle pour atteindre une vitesse estimée aux environs de celle lors de la poursuite.
Puisque le conducteur ne semble pas avoir l'intention de s'arrêter et que les conditions ont changé (configuration de la route, conditions météorologiques et circulation), le policier C décide de mettre fin à la poursuite juste avant 8 h 14. Il en fait l'annonce sur les ondes, et les véhicules de patrouille éteignent leurs gyrophares et sirènes. Ils ralentissent à la vitesse permise. Le véhicule bourgogne disparaît rapidement de leur champ de vision.
Entre le moment où il est observé pour la première fois par le duo de policiers (8 h 09) et celui où il disparaît du champ de vision du policier C (8 h 14), le véhicule bourgogne roule à très haute vitesse en effectuant de nombreux dépassements dangereux par l'accotement, le terrassement au milieu de l'autoroute, et en roulant en sens inverse sur la route 155.
Les policiers poursuivent leur route en direction nord à vitesse normale. À 8 h 18, ils aperçoivent un véhicule bourgogne accidenté à l'entrée de Grandes-Piles. Pompiers et ambulanciers sont appelés sur place. Les policiers découvrent l'homme inconscient dans le véhicule. Ils lui prodiguent les premiers soins. L'ambulance arrive sur place à 8 h 40. En route vers l'hôpital, les ambulanciers doivent intuber l'homme et commencer des manœuvres de réanimation. L'homme est admis à l'hôpital à 9 h 27 et son décès est constaté à 9 h 50.
L'infraction de conduite dangereuse, décrite à l'article 320.13 du Code criminel, se définit comme le fait de conduire un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public, en tenant compte des circonstances, incluant l'utilisation qui en est faite, la nature et l'état du lieu ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu. Le test applicable en matière de conduite dangereuse a été établi par la Cour suprême et prévoit que la preuve doit démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite qui doit être évalué, indépendamment des conséquences d'une collision ou d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule.
La preuve doit également établir que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les mêmes circonstances, en l'occurrence, un policier. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ainsi, une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un individu.
L'accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou la mort exige la preuve d'un lien de causalité entre la conduite du véhicule et de telles conséquences. À cet égard, la norme juridique applicable est que la conduite doit avoir contribué de manière appréciable aux lésions corporelles ou à la mort.
Par ailleurs, le Code de la sécurité routière (CSR) contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 précise que le conducteur d'un véhicule d'urgence ne doit actionner les feux clignotants ou pivotants, ou les avertisseurs sonores, ou un dispositif de changement des signaux lumineux de circulation visés à l'article 255 dont est muni son véhicule, que dans l'exercice de ses fonctions et si les circonstances l'exigent. Il n'est alors pas tenu de respecter certaines dispositions du CSR.
En l'espèce, l'intervention était légale. L'article 48 de la Loi sur la police prévoit que les policiers ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime. Compte tenu des manœuvres dangereuses effectuées par le véhicule bourgogne, les policiers étaient justifiés d'intervenir pour assurer la sécurité publique.
La preuve révèle que les policiers ont respecté le Guide de pratiques policières du ministère de la Sécurité publique, et plus particulièrement les directives en matière de poursuite policière d'un véhicule.
À la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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