Enquête indépendante sur l'événement survenu à Louiseville le 27 mars 2023 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 10 juin 2024 /CNW/ - L'enquête publique du Bureau du coroner dans cette affaire étant terminée, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à conclure, dans son communiqué intérimaire du 25 janvier 2024, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par la policière et le policier de la Sûreté du Québec (SQ).
Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement survenu à Louiseville le 27 mars 2023 entourant le décès d'une sergente de la SQ et d'un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de la preuve, et a considéré la preuve pertinente présentée à l'enquête publique, afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de l'homme décédé des motifs de la décision. Cette possibilité a également été offerte aux proches de la sergente décédée.
Le 24 mars 2023 vers 19 h 25, une femme contacte le 911 parce qu'elle s'inquiète de l'état d'un proche qui serait en psychose. Deux policiers et deux policières se rendent au logement de l'homme concerné. À la suite de leur vérification et de leur évaluation, les policiers concluent que l'homme ne présente aucun danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui et qu'ils n'ont alors aucun pouvoir légal de le transporter dans un centre hospitalier sans son consentement. Par ailleurs, la preuve révèle que l'homme est sous la juridiction du Tribunal administratif du Québec (Commission d'examen des troubles mentaux) et soumis à diverses conditions.
Le 27 mars 2023 vers 14 h 15, une personne se présente au poste de la SQ situé à Victoriaville pour porter plainte contre un proche qui lui aurait proféré des menaces de mort, soit le même homme que celui visé par l'intervention du 24 mars 2023. Il est convenu que ce sont des policiers du poste de la SQ situé à Louiseville qui procéderont à l'arrestation de l'homme pour avoir proféré des menaces de mort et ne pas avoir respecté les conditions d'une ordonnance de probation.
L'homme est connu pour avoir des problèmes de santé mentale ainsi qu'un caractère explosif et agressif. En conséquence, ils prévoient intervenir à quatre policiers. L'un des agents présents lors de l'intervention du 24 mars les informe que l'homme possède un couteau dans son appartement. Ce constat a été effectué le 24 mars 2023.
Le soir même vers 20 h 30, deux policiers présents lors de l'intervention du 24 mars, accompagnés d'une policière et d'une sergente, se rendent dans l'immeuble où réside l'homme. L'immeuble est un ancien hôtel transformé en logements. Deux escaliers permettent d'atteindre le 2e étage par l'extérieur et ensuite un escalier intérieur monte au 3e étage où se trouve le logement concerné.
Puisque l'un des policiers avait eu un bon contact avec l'homme le 24 mars, il est décidé qu'il s'adressera à l'homme. La sergente indique que si l'homme ne répond pas à la porte ou ne collabore pas, ils vont quitter les lieux.
Un des policiers se place devant la porte du logement et frappe tandis que son collègue se trouve à gauche de la porte. La sergente et la policière sont en retrait dans les escaliers à mi-hauteur entre le 2e étage et le 3e étage, de façon à ne pas être vues par l'homme qui pourrait devenir agressif en constatant la présence de plusieurs policiers.
L'homme ouvre la porte et il est calme. Le policier lui parle pendant quelques instants. Au moment où il lui annonce qu'ils sont là pour procéder à son arrestation pour avoir proférer des menaces de mort contre un proche, l'homme pousse un cri, se retourne derrière sa porte, prend un couteau se trouvant sur un comptoir et fonce en direction du policer.
Croyant que l'homme venait de saisir un couteau, son collègue se dirige rapidement dans les escaliers. Le policier recule rapidement jusqu'à un mur. L'homme se dirige vers lui et le poignarde au niveau de la tête et feint de le poignarder au niveau de la poitrine. Le policier réussit à courir jusqu'au fond d'un couloir pour se barricader derrière un matelas.
La sergente suivie de la policière montent les escaliers pour porter assistance à leurs collègues. Voyant un de ses collègues descendre les marches, la policière descend avec lui pendant que la sergente continue de monter jusqu'au palier. L'homme se retourne pour faire face à la sergente qu'il poignarde à la tête ainsi qu'à la nuque. Le policier qui se trouvait alors dans l'escalier se retourne en direction du palier après avoir descendu quelques marches et voit l'attaque sur la sergente. De sa position dans l'escalier, la policière constate que la sergente est blessée au cou, qu'elle est à genoux et que l'homme s'apprête à poursuivre son attaque. La policière et le policier montent les marches et font feu à plusieurs reprises en direction de l'homme qui, lors des tirs, se déplace vers la gauche. La policière et le policier cessent les tirs lorsque l'homme tombe au sol.
Des ambulances sont demandées sur les lieux. La policière se dirige vers la sergente gravement blessée pour lui porter secours. Elle fait une pression sur la blessure au cou pour ensuite l'aider à descendre à l'extérieur en attente de l'arrivée des ambulanciers. Les ambulanciers prennent en charge la sergente et font des manœuvres de réanimation avant de se diriger vers le centre hospitalier le plus proche.
Des manœuvres de réanimation sont tentées sans succès sur l'homme. L'agent blessé à la tête est quant à lui traité pour ses blessures par l'un des ambulanciers avant d'être conduit dans un centre hospitalier.
Après avoir été prise en charge par le personnel hospitalier, en raison de la gravité de ses blessures, la sergente est transférée dans un autre centre hospitalier où son décès est constaté plus tard en soirée.
L'occupante du logement adjacent à celui de l'homme n'a rien vu de l'intervention policière, mais elle a entendu des paroles des agents. Sa version s'avère compatible avec le fait que l'homme tenait une arme. Elle a aussi entendu plusieurs tirs d'arme à feu dont certains ont atteint la porte d'entrée et l'intérieur de son logement.
La preuve au dossier et l'expertise balistique du Laboratoire en science judiciaire et de médecine légale (LSJML) démontrent que la policière et le policier ont fait feu respectivement à 6 et 13 reprises. L'expert en balistique n'a observé aucune proximité de tir (poudre propulsive et noir de fumée) sur le T-shirt et le pantalon portés par l'homme. Ceci lui permet de conclure, à la suite de tirs expérimentaux effectués au LSJML, que les tirs ont été effectués à plus de 1,52 m entre la bouche du canon et la cible.
Une demande de complément a été faite au LSJML afin de connaître le temps nécessaire pour tirer 13 coups de feu de façon consécutive avec le type de pistolet semi-automatique utilisé par les 2 agents. L'expert en balistique a précisé que ce délai dépend de chaque personne. Un test a été effectué par l'expert et aussi peu que 3,25 secondes furent nécessaires pour exécuter la séquence de tirs.
Le policier attaqué par l'homme a subi une lacération sur le dessus de la tête ainsi qu'une fracture du crâne.
Le rapport des pathologistes indique que la sergente a été atteinte à la tête et à la nuque du côté droit par une arme piquante et tranchante. La blessure à la nuque était mortelle.
Le rapport du pathologiste indique que l'homme a été atteint à 10 ou 11 reprises par des projectiles d'arme à feu, l'un des projectiles ayant pu réentrer dans le bras droit après sa sortie. Cinq projectiles ayant atteint le thorax ont causé des blessures mortelles.
La spécialiste en biologie judiciaire, qui a effectué des analyses sur les prélèvements de sang sur le manche et la lame du couteau, conclut notamment dans son rapport que les profils génétiques de la sergente et du policier attaqué se trouvent sur la lame du couteau.
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'article 25(3) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, l'intervention auprès de l'homme était légale. Les policiers pouvaient procéder à l'arrestation de l'homme pour une infraction d'avoir proféré des menaces de mort et celle de ne pas avoir respecté les conditions d'une ordonnance de probation. Aucun mandat d'entrée n'était nécessaire car il avait été convenu que les policiers allaient quitter si l'homme ne collaborait pas.
Les faits ayant mené aux coups de feu en direction de l'homme se sont déroulés très rapidement après que l'homme a pris un couteau pour poignarder l'un des policiers, pour ensuite poignarder la sergente. La preuve révèle que le collègue du policier attaqué et l'agente n'ont eu aucune marge de manœuvre possible afin de tenter de dissuader l'homme de lâcher son couteau et qu'ils devaient impérativement mettre fin à l'agression au couteau perpétrée sur la sergente ainsi qu'à la menace que constituait l'homme armé. C'est dans ces circonstances qu'ils font feu à plusieurs reprises en direction de l'homme.
Au sujet des 19 tirs, bien que ce nombre semble élevé à première vue, le nombre et la séquence des tirs, en regard de la justification légale, doivent s'apprécier à la lumière de toutes les circonstances d'un évènement donné. Il importe de garder à l'esprit que la force nécessaire en vertu de l'article 25(3) C.cr. doit pouvoir permettre à celui qui l'utilise de mettre fin à la menace et permettre au policier de se protéger ou de protéger une autre personne. Le moment où la menace est neutralisée sera toujours en fonction des circonstances.
La preuve révèle que les agents ont fait feu jusqu'au moment où l'homme tombe au sol, soit jusqu'à ce que la menace soit effectivement neutralisée. Le tout s'est déroulé en quelques secondes selon le rapport des agents et cette affirmation concorde avec les quelque 3,25 secondes nécessaires pour tirer 13 coups de feu lors du test effectué par l'expert du LSJML.
La preuve relative aux coups de feu ainsi qu'aux événements qui les ont précédés repose essentiellement sur les versions données par la policière et le policier ayant fait feu. Le reste de la preuve est principalement constitué des preuves matérielles révélées par l'expertise balistique et les deux rapports d'autopsie. Aucun témoin civil n'a été en mesure de voir la séquence cruciale, bien que l'occupante du logement voisin ait entendu des paroles et des tirs d'arme à feu.
L'expertise balistique réalisée sur les lieux ainsi que les photographies de la scène sont compatibles avec la version de la policière et des deux policiers.
Dans les circonstances de cette affaire, la policière et le policier avaient des motifs raisonnables d'estimer que la force appliquée, à l'endroit de l'homme était nécessaire pour la protection de la sergente contre d'autres lésions corporelles graves ou la mort.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par la policière et le policier était justifié en vertu de l'article 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par la policière et le policier de la SQ impliqués dans cet événement.
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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