Enquête indépendante sur l'événement survenu à Mistissini le 7 octobre 2022 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 28 août 2024 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police Eeyou Eenou (SPEE) et de la Sûreté du Québec (SQ).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Mistissini le 7 octobre 2022 entourant le décès d'un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un comité composé de trois procureures aux poursuites criminelles et pénales (procureures). Ces dernières ont procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révèle la commission d'infractions criminelles. Une procureure qui a participé à l'analyse du dossier a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 7 octobre 2022, vers 21 h 25, deux policiers du SPEE et deux policiers de la SQ qui travaillent conjointement reçoivent l'appel d'une femme leur demandant d'intervenir auprès d'un membre de sa famille intoxiqué. Les policiers lui suggèrent d'essayer de le convaincre de se rendre à la clinique. Elle les rappelle deux minutes plus tard, en panique, et leur dit que l'homme a un comportement inquiétant et qu'elle souhaite qu'ils interviennent rapidement. Arrivés sur les lieux, les quatre policiers interviennent auprès de l'homme qui est agité et agressif. Il est menotté et placé dans le véhicule de patrouille considérant son état.
Un policier du SPEE contacte la clinique pour aviser de la possibilité d'amener l'homme si son état de santé se détériore. Pour le moment, compte tenu de son état d'agitation, les policiers l'amènent au poste.
Arrivé sur place à 21 h 38, l'homme saute du véhicule de patrouille et se cogne la tête sur le plancher du garage. Il saigne un peu et résiste à son transport à la cellule. Pendant qu'ils démenottent l'homme dans la cellule, un appel entre sur la ligne d'urgence à 21 h 48. L'appelant indique qu'une bataille impliquant plusieurs personnes est en cours et qu'un individu est en train de fracasser des voitures. Les quatre policiers interviennent sur cet appel et laissent l'homme seul puisqu'aucun gardien de cellule n'est sur les lieux.
Une caméra de surveillance capte les images de l'homme en cellule. Il semble hyperactif, se déplace dans la cellule, prend le matelas qu'il tente de placer sur la porte pour cacher la fenêtre. Il est conscient de la présence de la caméra de surveillance qu'il tente de couvrir à l'aide d'une couverture.
Les policiers reviennent au poste à 21 h 56, et voient sur la caméra que l'homme est immobile dans sa cellule, sur le ventre. Ils entrent et constatent qu'il est inconscient. Ils débutent des manœuvres de réanimation. Une ambulance est appelée immédiatement et l'homme est transporté à la clinique où son décès sera constaté. La cause du décès est attribuée à une toxicité à une drogue.
Analyse du DPCP
Le paragraphe 215(1) C.cr. crée des obligations destinées à la protection des individus vulnérables qui sont sous les soins, le contrôle ou la garde d'autrui. Plus précisément, l'alinéa 215(1)(c) C.cr. impose aux policiers de protéger les personnes qui sont sous leur garde en leur fournissant les « choses nécessaires à l'existence ».
Commet une infraction quiconque étant soumis à une obligation légale au sens du paragraphe 215(1)(c) C.cr., omet, sans excuse légitime, d'accomplir cette obligation, et si l'omission d'exécuter l'obligation met en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de celle-ci.
La jurisprudence a défini l'expression comme signifiant les choses nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des personnes contre le préjudice ou le risque de préjudice, lequel doit être raisonnablement prévisible et de nature plus que mineur ou transitoire. À titre d'exemple, les soins médicaux qui sont nécessaires pour protéger la santé ou la sécurité d'une personne détenue (arrestation, transport, cellule) contre un préjudice ou un risque de préjudice.
Ainsi, la preuve de cette infraction dans un contexte de détention policière requiert que la poursuite démontre hors de tout doute raisonnable chacun des éléments suivants :
- Le policier était soumis à l'obligation légale de fournir les choses nécessaires à l'existence de la personne pendant qu'elle était sous sa garde;
- Le policier n'a pas fourni les choses nécessaires à l'existence;
- Le manquement à l'obligation de fournir les choses nécessaires à l'existence a mis en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne;
- La conduite du policier a représenté un écart marqué par rapport au comportement d'un policier raisonnable dans des circonstances où il était objectivement prévisible que le fait de ne pas fournir de soins médicaux à la personne mettait sa vie en danger ou était de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne.
Le caractère raisonnable de la conduite de l'accusé s'apprécie en fonction de sa situation, des circonstances particulières et selon une norme objective, c'est-à-dire une norme de la société.
La preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont omis de fournir des choses nécessaires à l'existence d'une personne à leur charge.
En l'espèce, la décision des policiers de garder l'homme détenu pour qu'il se calme est raisonnable. Il est malheureux que les policiers n'aient pas pu effectuer une surveillance constante de son état puisqu'ils ont dû quitter les lieux pour répondre à un appel d'urgence, laissant l'homme sans surveillance pendant environ huit minutes lors desquelles il a subitement perdu connaissance. Cependant, cela ne peut entraîner leur responsabilité criminelle puisque cette décision ne peut être qualifiée d'écart marqué et est justifiée dans ces circonstances particulières.
La preuve révèle que toute l'intervention s'est déroulée sur un court laps de temps. L'homme a été placé en cellule à 21 h 41 et retrouvé inconscient à 21 h 56. Son état d'agitation était évident selon la version des policiers mais aussi selon les images captées par la caméra de surveillance de sa cellule. Il était raisonnable que les policiers choisissent de l'amener en cellule pour qu'il se calme. À ce moment, il était conscient de son environnement, était capable de se déplacer et ne semblait pas nécessiter de soins.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPEE et de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Annabelle Sheppard, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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