Enquête indépendante sur l'événement survenu à Québec le 6 avril 2022 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 11 juill. 2023 /CNW/ - Un verdict ayant été rendu par le tribunal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à ne pas déposer d'accusation dans ce dossier.
Rappelons qu'il concluait, dans son communiqué intérimaire du 7 mars 2023, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement survenu à Québec le 6 avril 2022 entourant le décès d'un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de la preuve, ainsi que celle présentée devant le tribunal, afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Le 4 avril 2022, à 14 h 11, un appel est fait au 911 par un homme inquiet de l'état mental de l'un de ses proches, un homme, et demande l'intervention des policiers. À 14 h 28, un deuxième appel est fait par cette personne demandant l'intervention rapide des policiers.
Une policière et un policier arrivent sur les lieux peu après et discutent avec le demandeur ainsi qu'avec une femme afin d'obtenir des précisions quant à l'état mental de l'homme concerné par la demande d'intervention.
Par la suite, ces policiers se présentent au domicile de l'homme situé à proximité. Ce dernier sort à l'extérieur et accepte de parler avec les policiers. Malgré quelques propos incohérents, l'homme demeure calme. Il fait état d'une situation difficile qu'il a vécue il y a quelques mois. Les policiers lui proposent d'en discuter avec quelqu'un en se rendant à l'hôpital ou en s'adressant à une ressource. Il refuse et mentionne qu'il contactera sa psychiatre au besoin. L'homme répond par la négative lorsque les policiers lui demandent s'il a des idées noires ou suicidaires. Les policiers constatent qu'il n'est pas en crise et ne représente aucun danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui. Il est alors évident pour eux qu'ils n'ont aucun pourvoir légal de procéder à l'arrestation de l'homme ou de le transporter sans son consentement dans un centre hospitalier. Les policiers indiquent à l'homme de ne pas hésiter à demander de l'aide s'il en ressent le besoin.
À la suite de cette rencontre qui dure environ 30 minutes, les policiers retournent au domicile de l'homme et de la femme afin de leur faire un compte-rendu et assurer un suivi. Les policiers expliquent leurs pouvoirs et ils déclarent bien comprendre. Les policiers informent ces personnes de la procédure visant à obtenir une ordonnance de garde provisoire pour une évaluation psychiatrique. À cet effet, ils fournissent les références d'un organisme spécialisé dans l'accompagnement de personnes ayant un proche aux prises avec des enjeux en santé mentale. Avant de quitter, les policiers leur mentionnent de ne pas hésiter à contacter de nouveau le 911 au besoin.
Le 6 avril 2022 en matinée, à la suite d'une rencontre avec l'organisme spécialisé, ces personnes se rendent au palais de justice et obtiennent une ordonnance judiciaire permettant aux policiers d'intercepter l'homme afin de le conduire dans un centre hospitalier pour y subir une évaluation psychiatrique. En possession de cette ordonnance, la femme se présente à un poste du SPVQ vers 12 h 25 afin que les policiers prennent possession de l'ordonnance et procèdent à son exécution.
Vers 13 h, la femme est rencontrée par un agent qui prend sa déclaration par écrit. Dans le cadre de ce type d'intervention planifiée, la procédure du SPVQ prévoit que l'exécution de l'ordonnance doit être précédée par une analyse de risque pour la sécurité des policiers et de la personne concernée. À la lumière de cette analyse, l'intervention doit ensuite être approuvée par un officier-cadre. La femme indique notamment que l'homme est en psychose et qu'en général, il est coopératif avec les policiers et qu'il n'y a aucun danger pour eux. Par ailleurs, cet agent fait une vérification afin de savoir si un duo de policiers dédiés aux interventions en santé mentale est actuellement disponible. Il est d'abord informé qu'un duo est en service et qu'il est en mesure de se rendre au poste de police. Finalement, ces policiers ne sont plus disponibles.
Vers 14 h, une fois l'analyse du risque complétée, l'agent qui en est responsable transmet celle-ci et l'ordonnance à la boîte courriel de l'unité du SPVQ concernée. Vers 14 h 15, le capitaine de cette unité est informé qu'une analyse de risque vient d'être transmise dans la boîte courriel de l'unité. Vers 14 h 30, l'agent informe également le lieutenant de patrouille de jour de la situation et il lui transmet également l'ordonnance. Ce lieutenant informe l'agent qu'il s'assure du suivi et informe à son tour le capitaine chargé de procéder à l'autorisation de l'évaluation du risque. Il est ensuite convenu que ce sera l'équipe du soir, dont le quart de travail débute à 15 h, qui exécutera l'ordonnance. Un des lieutenants responsables de l'équipe du soir est informé de l'ordonnance qui devra être exécutée et de l'évaluation du risque à venir.
Vers 15 h 05, le capitaine prend connaissance de l'analyse du risque et approuve l'intervention. À 15 h 15, il transmet l'approbation par courriel à l'agent et aux lieutenants chargés de la patrouille à partir de 15 h. L'approbation de l'intervention permet alors l'exécution de l'ordonnance en conformité avec la procédure du SPVQ.
À partir de 15 h 42, plusieurs appels sont reçus au 911 par des citoyens indiquant qu'un homme est agressé par un autre homme. La preuve révèle que l'agresseur est l'homme concerné par l'ordonnance de garde provisoire en vue d'une évaluation psychiatrique. La victime décède sur les lieux à la suite d'un traumatisme craniocérébral contondant.
La preuve révèle qu'aucun appel concernant une détérioration de l'état mental ou la dangerosité de l'homme n'a été fait au 911 ou au SPVQ entre le départ des policiers le 4 avril de la résidence du demandeur et les premiers appels au 911 le 6 avril à partir de 15 h 42.
Une enquête indépendante a été instituée par le BEI à la suite du décès d'un homme le 6 avril 2022 vers 15 h 45, alors qu'une première intervention policière avait eu lieu 2 jours auparavant et que l'interception de l'auteur de l'homicide par le SPVQ devait être exécutée par les policiers débutant leur quart de travail à 15 h le jour du décès. L'analyse a consisté à déterminer si la mort de l'homme a été causée en raison d'une négligence de nature criminelle attribuable à un ou des policiers impliqués les 4 et 6 avril 2022. La preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont commis une infraction criminelle.
En matière de négligence criminelle, il est interdit à une personne d'accomplir un geste ou d'omettre de poser un geste que la loi exige qu'il pose, lorsque cela montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.
La simple négligence dans l'accomplissement d'un acte, ou le fait de ne pas remplir une obligation imposée par la loi, sont toutefois insuffisants pour conclure à la négligence criminelle. La conduite doit représenter « un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnablement prudente », distinguant ainsi la faute civile de la faute criminelle.
Par ailleurs, la négligence criminelle ne constitue pas une infraction autonome. Toute forme de contribution à la mort ou aux lésions corporelles n'est pas criminelle. Pour être punissables, les gestes ou les omissions doivent avoir contribué de façon appréciable, c'est-à-dire plus que mineure aux lésions corporelles ou encore au décès d'une autre personne.
Dans cette affaire, le 4 avril 2022, à la suite des informations obtenues lors de la première intervention des policiers et des constatations faites auprès de l'homme concerné, les policiers n'avaient aucun motif légal de procéder à son arrestation ou de le conduire dans un centre hospitalier contre son consentement. Ainsi, à l'égard de leurs obligations légales, les policiers n'ont commis aucune omission.
Concernant l'intervention planifiée du 6 avril 2022, la preuve révèle que la procédure prévoit d'abord une évaluation du risque pour la sécurité des policiers et de la personne faisant l'objet de l'ordonnance d'évaluation psychiatrique. L'intervention devait ensuite être approuvée avant de procéder à l'interception de la personne.
La preuve indique que la femme s'est présentée au SPVQ vers 12 h 25 et les démarches ont débuté avec diligence afin de permettre l'exécution de l'ordonnance. Sans autre motif lié à l'urgence, une intervention policière planifiée doit être distinguée d'un appel au 911. Dans les circonstances révélées par la preuve, il ne pourrait être démontré que les policiers impliqués ont omis de respecter leur obligation légale. La possibilité que l'ordonnance ait pu être exécutée avant la survenance du drame ne peut constituer en soi une omission de se conformer à une obligation légale. Le drame qui s'est produit dans l'après-midi du 6 avril 2022 n'a pas été causé par négligence criminelle attribuable à l'un ou l'autre des policiers impliqués.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPVQ impliqués dans cet événement.
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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