Enquête indépendante sur l'événement survenu à Saint‑Adolphe‑d'Howard le 19 juillet 2022 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 6 déc. 2023 /CNW/ - Un verdict ayant été rendu par le tribunal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à ne pas déposer d'accusation dans ce dossier.
Rappelons qu'il concluait, dans son communiqué intérimaire du 19 octobre 2023, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par la policière et les policiers de la Sûreté du Québec (SQ). Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement entourant les blessures subies par un homme à Saint‑Adolphe‑d'Howard le 19 juillet 2022.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de la preuve, afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. La procureure a informé la personne blessée de la décision.
Le 19 juillet 2022, à 17 h 54, un appel est fait au 911 par un homme, en lien avec une altercation familiale entre ses deux voisins. L'information communiquée est qu'un des hommes semble colérique et intoxiqué, qu'il est armé d'un bâton cassé et que l'autre homme qui est partie au conflit est blessé au bras et au genou. Quelques minutes plus tard, l'un des hommes impliqués communique avec les services ambulanciers afin de les informer qu'un proche aurait été blessé à la suite d'une dispute avec lui.
L'appel est d'abord pris en charge par une policière patrouillant en solo qui arrive à proximité des lieux vers 18 h 18. Deux ambulanciers sont présents. Informée par ceux-ci de l'état agité de l'homme armé, elle attend l'un de ses collègues, le second policier, qui la rejoint près de deux minutes plus tard.
Ils sont tous deux à bord de leurs véhicules de patrouille clairement identifiés lorsqu'ils empruntent l'entrée privée ascendante qui mène au domicile en question. La policière est suivie de près par son confrère. Une fois le véhicule de la policière immobilisé, deux hommes surgissent du boisé situé à gauche de l'entrée. L'homme tient une arme longue (carabine) entre ses mains et il est en état de crise. Il pointe son arme vers la policière, qui est assise dans son véhicule, tout en avançant vers elle. L'autre homme, plus âgé, semble blessé au bras gauche et tient un morceau de bois entre ses mains.
La policière dégaine rapidement son arme de service en direction de l'homme et lui ordonne de lâcher son arme, alors que sa fenêtre est ouverte. L'homme n'obtempère pas et lui répond qu'il souhaite se faire tirer dessus. Sur les ondes radio, la policière informe ses collègues en route des développements. Elle referme rapidement sa fenêtre afin d'éviter de s'exposer davantage et engage un déplacement de quelques mètres vers l'avant avec son véhicule, afin de s'extraire de la ligne de tir. Elle sort ensuite de son véhicule.
De façon concomitante, le second policier sort lui aussi de son véhicule et s'adresse à l'homme qui pointe toujours la policière avec son arme. Il le somme à de nombreuses reprises de lâcher son arme, mais en vain. L'homme refuse de collaborer et réitère qu'il souhaite se faire tirer dessus.
Au bout d'un moment, l'homme amorce un déplacement vers le second policier en pointant son arme vers le véhicule de ce dernier, duquel il s'approche pour se retrouver à quelques mètres seulement.
Vers 18 h 23, un troisième policier arrive seul à bord de son véhicule sur ces entrefaites. Il est alors situé à près de 25 mètres des deux autres policiers. Il crie à l'homme blessé au bras de quitter les lieux pour sa sécurité, ce qu'il accepte de faire. Il ordonne également d'une voix forte à l'homme armé d'abandonner son arme, mais ce dernier refuse à nouveau. Le troisième policier entend distinctement son collègue demander à l'homme de cesser de s'avancer et de lâcher son arme. L'homme refuse toujours catégoriquement. Le second policier recule et tente de trouver barricade derrière son véhicule, tandis que l'homme élève son arme à feu à sa hauteur et le pointe. Il n'y a alors plus que deux ou trois pieds qui distancent l'homme du second policier.
Craignant pour la sécurité de son confrère, le troisième policier fait feu en direction de l'homme à cinq reprises avec son arme de service. L'homme est atteint de deux projectiles dans le dos. Il lâche son arme en émettant des jurons, mais demeure debout avec les poings serrés. Aussitôt la carabine au sol, les coups de feu cessent.
Près d'une minute après avoir entendu sur les ondes radio que des coups de feu ont été tirés sur l'homme, un quatrième policier arrive seul sur les lieux à bord de son véhicule. Muni d'une arme à impulsion électrique (AIE), il s'empresse d'aller rejoindre ses collègues afin de leur prêter assistance.
À son arrivée, les trois policiers pointent leur arme de service sur l'homme debout et lui crient de se coucher au sol. Demeurant indifférent à leurs ordres, il répond qu'il souhaite se faire tirer dessus en avançant vers eux. Constatant qu'il refuse toujours de coopérer, le quatrième policier rengaine son arme de service et prend son AIE. En raison du refus de l'homme de se conformer aux demandes formulées, le quatrième policier s'approche de son angle mort et avertit immédiatement ses collègues du déploiement imminent de l'arme. L'homme subit une neutralisation neuromusculaire immédiate et tombe sur le dos. Il est ensuite retourné sur le ventre, puis menotté.
Les ambulanciers, en retrait jusque-là, se dirigent sur les lieux dès qu'ils sont avisés que ceux-ci sont sécurisés. Ils prodiguent rapidement les soins requis à l'homme menotté. La présence des policiers demeure toutefois requise pour maîtriser l'homme, car il résiste activement aux soins en répétant qu'il souhaite mourir.
Vers 18 h 37, l'homme est transporté en ambulance vers l'hôpital. Il est accompagné du quatrième policier. Lors du trajet, l'homme subit de courtes pertes de conscience. Il obtient son congé médical quelques jours plus tard.
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées aux articles 25(1) et 25(3) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
L'article 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
L'intervention initiale des policiers était légale puisqu'elle reposait principalement sur leur devoir d'assurer le maintien de l'ordre et de la sécurité publique. En effet, leur intervention tire son fondement de deux appels distincts faits au 911. Le premier appel, effectué par un témoin civil, fait état d'une situation de violence familiale, avec un blessé potentiel et un homme en crise qui requiert d'être maîtrisé. Le second appel provient de l'homme en crise qui confirme qu'un proche a été blessé au cours de l'altercation.
Aussitôt dépêchés sur les lieux, les deux premiers policiers sont confrontés à l'homme qui se montre menaçant. De plus, il est armé et non disposé à collaborer, malgré leurs demandes répétées de se désarmer.
Le danger est réel et imminent lorsque l'homme pointe son arme en direction de la policière, puis peu après en direction de son confrère situé quelques mètres derrière elle. La situation demeure toujours aussi préoccupante avec l'arrivée du troisième policier qui, à l'instar de ses collègues, ordonne fermement à l'homme de lâcher son arme longue, sans aucune collaboration en retour. Durant cette période, l'homme au gabarit imposant refuse systématiquement d'obtempérer et répond qu'il souhaite se faire tirer dessus. Il est alors instable et imprévisible.
Le niveau de dangerosité s'élève davantage lorsque l'homme armé vise le second policier en s'approchant de lui, jusqu'à ne plus le distancer que de deux ou trois pieds.
Le troisième policier s'est donc fondé sur des motifs raisonnables de croire que la vie de son collègue était en péril, et qu'il était nécessaire d'employer une force de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves pour contrôler la menace potentiellement létale en présence. Les coups de feu tirés en direction de l'homme ont d'ailleurs cessé dès que ce dernier a lâché son arme.
Une deuxième intervention, celle-là initiée par le quatrième policier, s'est ensuite imposée en raison du refus de l'homme, toujours menaçant, de respecter les ordres formulés par tous les policiers afin de stabiliser la situation.
Dans le but de prêter assistance à ces collègues, le quatrième policier a rengainé son arme de service et préféré employer son AIE, ce qui constituait une approche à la fois proportionnelle et nécessaire en ces circonstances. Situé dans l'angle mort de l'homme, le quatrième policier a pu intervenir de façon rapide et sécuritaire. Aussitôt ses collègues avisés, il a été en mesure de neutraliser l'homme. Les policiers ont ensuite pu sécuriser efficacement les lieux et assurer la prise en charge de l'homme par les ambulanciers.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par la policière et les policiers était justifié en vertu des articles 25(1) et 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par la policière et les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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