Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation dans le dossier de l'enquête indépendante instituée à la suite de l'événement survenu le 11 mars 2020 à Montréal, lors duquel un homme est décédé
QUÉBEC, le 22 sept. 2021 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement entourant le décès d'un homme survenu le 11 mars 2020 à Montréal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par le policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un procureur aux poursuites criminelles et pénales (procureur). Ce dernier a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si, à la lumière des faits retenus, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. Le procureur a informé un proche de la personne décédée de la décision.
Événement
Le 11 mars 2020, vers l'heure du dîner, une jeune femme se rend dans un bar avec une amie et y demeure de nombreuses heures. Aux environs de 21 h 45, un homme va chercher la jeune femme, qu'il héberge depuis quelques mois. Il la ramène à son logement.
Plus tard, vers 23 h 20, l'homme va reconduire un ami commun à son domicile. Il revient ensuite chez lui et y rejoint la jeune femme. Ils sont alors seuls dans l'appartement de l'homme. Une altercation de nature conjugale éclate entre l'homme et la jeune femme. Le ton monte, de même que la tension.
La jeune femme appelle leur ami commun avec son téléphone cellulaire afin qu'il puisse réconcilier les parties, ce qu'il avait l'habitude de faire. L'homme essaie de lui extirper son cellulaire une première fois, en vain, puis il s'y reprend. Il brise l'appareil et le lance à l'extérieur du logement par la porte-patio.
L'homme se montre agressif, empêche la jeune femme de sortir de l'appartement, la frappe au visage et la pousse sur le divan. La jeune femme crie. Différents voisins dans l'immeuble discernent les hurlements et le bruit de la gifle. L'homme saisit ensuite un couteau de cuisine (pour trancher du pain), lui interdit de se lever et mentionne qu'il va se faire mal et se tuer. La jeune femme l'implore de lâcher son couteau et tente de discuter avec lui, mais il ne se montre guère réceptif ni ne semble dans son état normal. Elle hurle à nouveau. Des voisins entendent des demandes à l'aide de la jeune femme.
Une voisine résidant dans l'appartement en face de celui de l'homme ouvre la porte du logement de ce dernier à deux reprises, mais l'homme la referme aussitôt et la verrouille ensuite. La voisine cogne vigoureusement à la porte et le somme de laisser partir la jeune femme. Ce dernier l'envoie paître. La jeune femme demande à l'homme de lâcher son couteau, sans succès. Elle se lève du divan et l'homme la pousse encore une fois. Un passant marchant dans la rue voit la scène par la porte-patio du logement.
Vers 23 h 49, les policiers du SPVM reçoivent un premier appel d'une femme concernant une situation de violence conjugale ayant lieu au logement de ses voisins. L'appelante indique entendre, au travers des murs, des objets se faire fracasser, des portes claquer et une femme crier « Arrête, lâche-moi ». À 23 h 51, un second appel est fait par un autre voisin, en compagnie du passant, mentionnant tous deux qu'un homme séquestre une femme, la pousse et la menace avec un gros couteau de cuisine. La même adresse civique est indiquée.
À 23 h 54, un agent du SPVM arrive seul devant l'immeuble. À travers la porte-patio, l'homme aperçoit un véhicule de patrouille stationné dont les gyrophares sont actionnés. Il dépose son couteau sur le comptoir de la cuisine, barricade la porte du logement avec une chaise et prend un autre couteau qu'il tient dans sa main gauche. Le passant pointe au policier l'homme dans l'appartement et lui fait un résumé de ce qu'il a constaté. La jeune femme est alors repliée sur elle-même sur le divan, l'homme tient toujours un couteau en main et tourne en rond en se tenant la tête.
L'agent entre à l'intérieur de l'immeuble et entend des cris de détresse en provenance de l'appartement. Il monte les marches pour se rendre devant le logement de l'homme. À ce moment, deux témoins sont près de l'agent et constatent le déroulement des évènements. Une voisine se situe derrière le policier, à sa gauche, dans le passage entre son logement et celui de l'homme, mais assez près du cadre d'entrée de son appartement. Un autre voisin se trouve également derrière le policier, en retrait à sa droite, entre la cage d'escalier donnant accès aux appartements supérieurs et l'appartement faisant face à celui de l'homme. Le policier essaie d'ouvrir la porte du logement de l'homme, mais elle est verrouillée. Il cogne fermement en disant « Police, ouvre la porte ». Il tente de défoncer la porte d'entrée à plusieurs reprises, avec ses épaules puis avec ses pieds, sans toutefois y parvenir. Il dégaine son arme à feu. Il la tient dans sa main droite.
L'homme ouvre la porte de son appartement. Le policier recule d'un pas, son arme de service toujours en main, pointée en direction de la porte. L'homme apparaît. Le policier se trouve alors à moins de trois mètres de lui. Dans sa main gauche, l'homme tient un long couteau, doté d'une lame de 30 à 35 centimètres, pointant vers le policier. Il est debout, a le visage rouge, les yeux immenses et le regard fixe. Selon les faits retenus, l'agent lui ordonne de laisser tomber son couteau, mais il n'obtempère pas. Celui-ci fait un mouvement vers l'avant, en projetant son torse en direction du policier. L'agent tire immédiatement deux coups de feu rapprochés, puis un troisième. Il est 23 h 55. L'homme s'écroule sur le sol.
Le policier mentionne sur les ondes radio policières qu'un homme a été atteint par balle. Il s'assure que la jeune femme est seule dans le logement, ramasse le couteau, le dépose dans un sac de sel situé à droite de la porte d'entrée et escorte la jeune femme à l'extérieur de l'appartement. Au même moment, une voisine débute les manœuvres de réanimation, étant infirmière de formation. L'homme est immobile, a les yeux ouverts et émet un râlement peu audible. Sa respiration arrête ensuite et son regard devient fixe.
Plusieurs policiers du SPVM arrivent sur les lieux aux alentours de 23 h 58. Certains d'entre eux poursuivent les manœuvres de réanimation. À 0 h 22, les ambulanciers transportent l'homme à l'hôpital. Il y est admis vers 0 h 37. Il n'a pas de pouls, ni de rythme cardiaque. Des manœuvres sont tentées. Son décès est constaté à 0 h 45.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'article 25 du Code criminel sont remplies.
Cette disposition accorde une protection à l'agent de la paix qui emploie la force dans le cadre de l'application ou de l'exécution de la loi.
Le paragraphe 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
Le paragraphe 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, l'intervention policière était légale. En effet, un agent du SPVM s'est rendu sur les lieux pour faire suite à deux appels faits au service 911, dans le contexte d'une situation de violence conjugale avec agression armée impliquant un couteau. L'intervention s'est déroulée très rapidement. Les déclarations des différents témoins divergent sur le fait que l'ordre de lâcher le couteau a été donné ou non. L'analyse de l'ensemble de la preuve amène à conclure que la version la plus vraisemblable est celle suivant laquelle cet ordre a effectivement été donné par le policier.
Ceci étant dit, considérant le danger imminent auquel il faisait face, la distance de moins de trois mètres le séparant de l'homme, le fait que celui-ci tenait en main un couteau avec une longue lame pointé en sa direction et le mouvement qu'il a fait vers l'avant, le policier avait des motifs raisonnables d'estimer que la force appliquée à l'endroit de l'homme était nécessaire pour sa protection et celle de deux citoyens témoins, en plus de la jeune femme séquestrée, contre des lésions corporelles graves ou la mort.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par l'agent de la paix était justifié en vertu de l'article 25 du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'un acte criminel par le policier du SPVM impliqué dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Audrey Roy-Cloutier, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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