Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation dans le dossier de l'enquête indépendante instituée à la suite de l'événement survenu le 1er janvier 2018 à Waskaganish, lors duquel un homme est décédé
QUÉBEC, le 30 sept. 2020 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement entourant le décès d'un homme survenu le 1er janvier 2018 à Waskaganish, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police Eeyou Eenou (SPEE).
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un procureur aux poursuites criminelles et pénales (procureur). Ce dernier a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. Le procureur a informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 1er janvier 2018, vers 5 h du matin, un homme se rend à une fête du Nouvel An qui se déroule dans une résidence privée située à Waskaganish. Il est décrit par plusieurs témoins comme démontrant des signes d'ébriété. Il est impliqué dans des altercations physiques avec cinq ou six individus, puis est évincé de la résidence.
Vers 11 h, l'homme se rend chez une proche et cogne à coups de pied dans la porte arrière de sa résidence. Un appel est fait au 911. Un agent de police du SPEE arrive sur les lieux, le prend en charge et le reconduit à proximité de chez un membre de sa famille.
Vers 12 h 15, l'homme retourne à la fête de laquelle il a été expulsé plus tôt en matinée. Il tient des propos permettant de croire qu'il pourrait attenter à sa vie. Une deuxième intervention de l'agent de police du SPEE est alors nécessaire. Une fois sur place, ce dernier recueille de l'information auprès de certains témoins afin d'en savoir plus sur l'état de l'homme. Il l'observe ensuite se quereller avec l'une des personnes présentes à la fête. Il l'interpelle et lui demande de le suivre à l'extérieur. Il remarque alors que l'homme a les yeux rouges et qu'il dégage une forte odeur d'alcool. Compte tenu du risque que l'homme représente pour sa propre sécurité et vu son intoxication apparente, il l'informe qu'il devra le détenir au poste de police afin de lui permettre de dégriser en cellule. L'agent ajoute qu'une fois sobre, il sera conduit à la clinique médicale où il subira une évaluation d'ordre psychiatrique. L'homme collabore et monte à bord du véhicule de patrouille.
Ils arrivent au poste vers 12 h 40. L'homme refuse de sortir du véhicule et demande à être reconduit chez un membre de sa famille. Après plusieurs minutes de négociations infructueuses, l'agent de police décide de recourir à la force physique (il tire l'homme par les pieds, le pousse vers l'extérieur de la voiture et exerce des points de pression sur son corps, sans jamais lui donner de coups), puis à une arme intermédiaire (bonbonne de poivre de Cayenne) afin de le faire sortir du véhicule, mais sans succès. Un autre policier du SPEE est appelé en renfort. Il arrive au poste cinq minutes plus tard.
Les deux policiers entament des manœuvres physiques (de la même nature que celles qui ont été faites par le premier agent) pour lui faire lâcher sa résistance et parviennent finalement à l'extirper du véhicule de patrouille, puis à le menotter. L'homme est conduit à sa cellule vers 13 h 20. Dans les heures qui suivent, alors qu'il est en détention, il se montre agité et répète qu'il veut être libéré et reconduit chez un membre de sa famille.
À 22 h 57, alors que l'homme se trouve toujours en cellule1, il se plaint de douleurs abdominales. Le policier qui avait été appelé en renfort s'entretient au téléphone avec un infirmier qui lui recommande de transférer le patient à une clinique médicale. Comme l'homme est incapable de se lever et de marcher, le policier demande à ce qu'une ambulance soit envoyée au poste. Celle-ci arrive à 23 h 40 et repart à 23 h 51.
Une fois à la clinique, le personnel médical administre à l'homme du Pantoloc par intraveineuse pour soulager ses maux de ventre. Il réagit très fortement et décède dans les minutes qui suivent. Son décès est constaté à 3 h le matin du 2 janvier 2018.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées à l'article 25 du Code criminel sont remplies.
Cette disposition accorde une protection à l'agent de la paix qui emploie la force dans le cadre de l'application ou de l'exécution de la loi.
Le paragraphe 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
Le paragraphe 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, l'intervention était légale et se fondait principalement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer la sécurité des personnes, en l'occurrence celle de l'homme qui a tenu des propos permettant de croire qu'il pourrait s'infliger des blessures ou attenter à sa vie. Face à son refus catégorique de sortir du véhicule de patrouille afin d'être amené en cellule, les agents de police ont eu recours à une gradation de mesures. Ils ont d'abord dialogué avec lui (invitation à collaborer suivie d'ordres clairs d'obtempérer), puis ont tenté plusieurs manœuvres physiques pour le faire sortir de la voiture de police, en vain. Un des agents a également aspergé du poivre de Cayenne sur la banquette arrière du véhicule patrouille afin d'incommoder l'homme, mais sans succès.
Considérant la force de l'homme, son intoxication apparente, son refus clair d'obtempérer aux ordres, la vigueur avec laquelle il a résisté à sa mise en détention et l'absence de signes de relâchement, les policiers avaient des motifs raisonnables d'estimer que la force appliquée à l'endroit de l'homme était nécessaire pour l'extirper du véhicule et l'amener en cellule. En l'espèce, l'utilisation de la force est proportionnée et raisonnable eu égard à l'objectif d'assurer la sécurité de l'homme, vu le danger qu'il représentait pour lui-même.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les agents de la paix était justifié en vertu de l'article 25 du Code criminel.
Quant à la suite de cette intervention policière, la preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont fait preuve de négligence criminelle dans le cadre de la surveillance de l'homme lors de sa détention.
En matière de négligence criminelle, il est interdit à une personne d'accomplir un geste ou d'omettre de poser un geste que la loi exige qu'il pose, lorsque cela montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.
La simple négligence dans l'accomplissement d'un acte, ou le fait de ne pas remplir une obligation imposée par la loi, sont toutefois insuffisants pour conclure à la négligence criminelle. La conduite doit représenter « un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnablement prudente », distinguant ainsi la faute civile de la faute criminelle.
Par ailleurs, la négligence criminelle ne constitue pas une infraction autonome. Toute forme de contribution à la mort ou aux lésions corporelles n'est pas criminelle. Pour être punissables, les gestes ou les omissions doivent avoir contribué de façon appréciable, c'est-à-dire plus que mineure aux lésions corporelles ou encore au décès d'une autre personne.
En l'espèce, avant 23 h approximativement, la preuve révèle que l'homme n'a laissé paraître à aucun moment durant sa détention qu'il était en douleur. C'est seulement à partir de cette heure-là que les premières plaintes ont été verbalisées. L'analyse de l'ensemble de la preuve permet de conclure que dès ce moment, les policiers ont agi avec célérité afin qu'il reçoive les soins médicaux requis par son état de santé, c'est-à-dire en prenant rapidement contact avec la clinique et en sollicitant l'assistance des ambulanciers de manière diligente.
Quant à la surveillance d'un détenu présentant un risque pour sa propre sécurité, même en supposant que les policiers auraient pu exercer une surveillance visuelle constante sur le sujet, ce qui ne s'avérait pas requis, la preuve révèle que dans les faits, l'homme n'a posé aucun geste représentant un risque réel pour sa sécurité. En l'absence de lésions qui sont directement attribuables à une quelconque insouciance des policiers, il ne peut y avoir négligence criminelle puisqu'en droit canadien, une personne engage sa responsabilité uniquement lorsque la négligence cause la mort ou des lésions corporelles.
En somme, aucun élément de preuve ne permet de conclure que le comportement des agents de police du SPEE représente un écart marqué et important par rapport à la conduite d'un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'un acte criminel par les policiers du SPEE impliqués dans cet événement.
Au demeurant, la preuve au dossier d'enquête permet d'exclure tout usage de la force ou toute négligence de la part des policiers comme élément contributif du décès de l'homme. Le rapport d'autopsie révèle que son décès n'est pas attribuable aux faits et gestes des policiers impliqués.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
___________________________ |
1 Il y a eu transfert de cellule en raison d'une toilette bouchée qui a provoqué une inondation. |
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Source : Me Audrey Roy-Cloutier, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
Partager cet article