Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation dans le dossier de l'enquête indépendante instituée à la suite de l'événement survenu le 3 août 2018 à Thetford Mines, lors duquel une femme a été blessée
QUÉBEC, le 25 mars 2021 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec les blessures subies par une femme le 3 août 2018 à Thetford Mines, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ).
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à un comité composé de deux procureurs aux poursuites criminelles et pénales (procureurs). Ces derniers ont procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si, à la lumière des faits retenus, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. Un procureur qui a participé à l'analyse du dossier a rencontré et informé la personne blessée de la décision.
Événement
L'enquête porte sur les circonstances entourant l'auto-infliction de blessures par une femme, le 3 août 2018 à Thetford Mines, alors qu'elle était transportée et détenue sous la garde de deux policiers (« les deux policiers ») de la SQ, dans une des sections grillagées à l'arrière d'une fourgonnette cellulaire en route vers l'Établissement de détention de Québec (ÉDQ).
Vers 1 h 10 dans la nuit du 3 août 2018, une femme est arrêtée. Elle est conduite à un poste de la SQ situé à Sainte-Marie, en Beauce. À cet endroit, deux enquêteurs procèdent à son interrogatoire pendant la nuit.
Au matin, la femme leur tient des propos suicidaires. Après vérification auprès d'une intervenante sociale, l'un des enquêteurs conclut que la menace est sérieuse.
Vers 11 h 30, avec le consentement de cet enquêteur, la femme consomme la médication qu'elle a en sa possession.
Peu avant le départ vers le palais de justice de Thetford Mines aux fins de comparution devant un juge, l'enquêteur informe les deux policiers accompagnant la femme qu'elle présente un risque suicidaire.
L'enquêteur prévient aussi les policiers qu'elle refuse de retirer ses chaussures ou ses lacets. Les deux policiers affirment qu'ils vont « s'en occuper ».
Vers 11 h 40, au moment du départ, la femme est accompagnée de son conjoint, également détenu et tenu de comparaître à Thetford Mines relativement à la même enquête criminelle.
À ce moment, les deux policiers possèdent une enveloppe contenant le dossier d'écrou de la femme. Ce dossier contient les documents administratifs produits à son sujet pendant sa détention. Le registre inclus dans ce dossier fait état d'un risque suicidaire.
Le transport se déroule sans heurt. Obéissance et docilité semblent alors définir le comportement de la femme et de son conjoint. Il leur a été permis de voyager ensemble, dans la même section du fourgon.
Vers 14 h, la femme comparaît au palais de justice de Thetford Mines. À la suite de sa comparution, elle est placée en cellule dans l'attente de reprendre place dans le fourgon ayant servi à son transport ce même jour. Elle est ensuite conduite par les deux policiers vers l'ÉDQ, en compagnie de son conjoint.
À ce moment, ce dernier, très réactif, retient davantage l'attention des deux policiers. Ils le placent dans la cellule grillagée du fourgon la plus exigüe. Cette cellule est située près d'eux. Privé de ses chaussures, l'homme effectue ce déplacement en chaussettes.
Contrairement à son conjoint qui conteste encore vivement son incarcération et l'interdiction de contacter sa conjointe imposée par le tribunal, la femme s'est calmée depuis sa prise en charge par l'un des deux policiers à sa sortie de la cellule du palais de justice de Thetford Mines.
Elle est placée dans la cellule grillagée la plus vaste du fourgon. Cette cellule est située au fond à l'arrière.
Vu l'absence de ceinture de sécurité disponible dans cette partie du véhicule, les policiers la menottent aux poignets à l'avant. Cela lui permet notamment de se retenir en cas de mouvements brusques du véhicule, par ailleurs muni de parois de plexiglas séparant les cellules destinées aux détenus. Ces parois sont si usées qu'elles privent les policiers prenant place à l'avant du véhicule d'une vue adéquate à l'intérieur des cellules.
Peu après le départ du fourgon, vers 14 h 45, la femme manœuvre discrètement pour retirer une main des menottes qu'un des policiers lui a posées aux poignets. Elle peut ainsi retirer les lacets de ses chaussures. Après les avoir noués ensemble puis serrés autour de son cou, elle les passe à travers les trous du grillage derrière sa tête pour les y attacher. Elle se laisse ensuite choir.
Vers 14 h 50, les deux policiers sont alertés par les cris et les gestes du codétenu. Ils arrêtent le véhicule sur le côté de la chaussée pour secourir sa conjointe. Après l'avoir détachée, ils pratiquent des manœuvres de réanimation, puisqu'elle leur est apparue en arrêt cardiorespiratoire. Elle est réanimée et conduite à l'hôpital par les ambulanciers dépêchés sur les lieux.
Analyse du DPCP
La preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont fait preuve de négligence criminelle.
En matière de négligence criminelle, il est interdit à une personne d'accomplir un geste ou d'omettre de poser un geste que la loi exige qu'il pose, lorsque cela montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.
La simple négligence dans l'accomplissement d'un acte, ou le fait de ne pas remplir une obligation imposée par la loi, sont toutefois insuffisants pour conclure à la négligence criminelle. La conduite doit représenter « un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnablement prudente », distinguant ainsi la faute civile de la faute criminelle.
Par ailleurs, la négligence criminelle ne constitue pas une infraction autonome. Toute forme de contribution à la mort ou aux lésions corporelles n'est pas criminelle. Pour être punissables, les gestes ou les omissions doivent avoir contribué de façon appréciable, c'est à-dire plus que mineure aux lésions corporelles ou encore au décès d'une autre personne.
Un devoir général de prudence et de préservation de la sécurité des personnes est imposé par la loi aux policiers. Leurs obligations relatives au transport d'une personne détenue ne sont toutefois pas dictées par une règle de droit précise qui, par exemple, pourrait prévoir l'obligation de retirer les chaussures ou tout vêtement d'une personne présentant un risque suicidaire.
L'obligation de prudence envers les personnes sous leur garde est tributaire :
- des renseignements fiables dont les policiers disposent;
- des informations qu'ils sollicitent;
- de leurs observations du comportement de la personne détenue;
- et de la rétroaction qu'ils peuvent obtenir de la part de cette personne ou de tout autre observateur.
Lors du premier transport entre Sainte-Marie et Thetford Mines, les deux policiers auraient pu prendre la précaution d'usage en pareilles circonstances, à savoir lui retirer ses lacets. Malgré l'engagement annoncé de s'occuper de la femme, leur décision de lui laisser ses souliers et ses lacets ne saurait cependant constituer une omission de se conformer à un devoir que la loi leur imposait.
Quant au contenu de l'enveloppe contenant le dossier d'écrou, celui-ci ne semble habituellement pas générer d'intérêt chez les policiers prenant en charge des détenus pour un transport. Il n'est donc pas possible de conclure que leur omission de prendre connaissance de ce registre constitue un écart marqué et important par rapport à la conduite raisonnablement prudente attendue en pareilles circonstances.
Pendant le premier transport, tout comme la période pendant laquelle ils ont été en présence du couple au palais de justice, les deux policiers n'ont pas reçu d'information additionnelle ni perçu de signaux clairs susceptibles de les alerter davantage sur l'état de la femme.
Lors du second transport, les faits portés à leur connaissance suggéraient un niveau de vigilance élevé vu le risque que posait la femme sous leur garde. Bien qu'elle n'ait pas été ainsi justifiée par les deux policiers, la mise des menottes aux poignets de la femme s'avérait tout de même de nature à assurer sa sécurité.
Par ailleurs, la manœuvre de la femme, qui a réussi à s'en délivrer, était imprévisible. En effet, la preuve ne démontre pas que la pression des menottes sur ses poignets était, à la connaissance des policiers, insuffisante pour l'empêcher de se délier.
Le manque de surveillance à l'intérieur du véhicule apparaît quant à lui tributaire d'une situation échappant au contrôle des policiers impliqués, soit l'usure des équipements.
Les deux policiers ont immobilisé le véhicule à la suite des cris du conjoint de la femme les informant qu'elle était en train de se pendre. Ils ont par la suite porté, sans délai, le secours et l'assistance requis à cette dernière.
L'ensemble de la preuve ne permet donc pas de conclure que les omissions imputées aux deux policiers quant aux mesures susceptibles d'être prises pour assurer la protection de la femme satisfont aux exigences de la loi pour être qualifiées de négligence criminelle.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'un acte criminel par les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Audrey Roy-Cloutier, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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