Le DPCP annonce qu'il ne portera pas d'accusation à la suite de l'analyse d'une nouvelle enquête sur un accident mortel survenu à Saint-Michel-des-Saints le 26 juin 1977
QUÉBEC, le 7 sept. 2017 /CNW Telbec/ - Après examen du rapport d'enquête produit par la Sûreté du Québec (SQ), à la suite d'une nouvelle enquête portant sur un accident mortel survenu à Saint-Michel-des-Saints le 26 juin 1977 lors duquel cinq personnes sont décédées, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut ne pas être raisonnablement convaincu d'être en mesure d'établir la culpabilité d'un prévenu. En conséquence, aucune accusation criminelle ne sera déposée dans ce dossier. Mentionnons que cette nouvelle enquête fait suite à une demande formulée à la SQ par des proches des personnes décédées.
Un procureur aux poursuites criminelles et pénales a procédé à un examen exhaustif des faits contenus au rapport d'enquête afin d'évaluer si ceux-ci révèlent la commission d'infractions criminelles. Sa décision est basée uniquement sur le rapport préparé par la SQ. Le procureur a produit une analyse de sa décision, laquelle a été soumise à sa procureure en chef adjointe pour décision finale. Le procureur a informé les proches des personnes décédées des motifs de la décision.
Critères à l'origine de la décision de poursuivre
En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal. Ainsi, après examen du rapport d'enquête, le procureur doit d'abord évaluer la suffisance de la preuve en tenant compte de l'ensemble de la preuve admissible, y compris celle qui pourrait soutenir certains moyens de défense. À l'issue de cette analyse, le procureur doit être raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité du prévenu. Le cas échéant, il considère aussi les critères relatifs à l'opportunité d'engager une poursuite au regard de l'appréciation de l'intérêt public.
La norme applicable à la décision d'entreprendre une poursuite est prévue dans la directive ACC-3 du DPCP. La plupart des poursuivants publics au Canada disposent de directives qui imposent une norme semblable. En outre, les tribunaux reconnaissent que cette norme est plus exigeante que celle des simples motifs raisonnables et probables de croire qu'une personne a commis une infraction. Ils estiment aussi qu'un seuil moins élevé permettant l'introduction d'une poursuite serait incompatible avec le rôle du poursuivant en sa qualité d'officier de justice responsable d'assurer le respect et la recherche de la justice, puisque la responsabilité première du procureur consiste en effet à s'assurer que justice soit rendue. Conséquemment, le procureur ne cherche pas à obtenir une condamnation à tout prix et doit éviter de porter des accusations si la preuve est insuffisante. Le procureur doit procéder à une appréciation professionnelle du fondement juridique d'une poursuite et ce n'est pas son opinion personnelle sur la culpabilité qui importe. Son examen doit demeurer objectif, impartial et critique. La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique.
L'enquête policière et l'enquête du Coroner de 1977
Le 26 juin 1977, vers 0 h 15, un accident mortel survient à l'intersection du chemin de la Jetée et du chemin de la Rivière-du-Milieu à Saint-Michel-des-Saints. Sept personnes (4 hommes et 3 femmes) incluant le conducteur prennent place dans la caravane impliquée dans l'accident.
Cinq personnes sont décédées dans cet événement. Seuls le conducteur et un passager ont survécu à l'accident.
En 1977, selon les lois en vigueur, l'enquête est confiée à la SQ du poste de Saint-Michel-des-Saints de même qu'au Coroner.
Au terme de l'enquête policière, le substitut du procureur général chargé d'analyser le dossier, refuse de porter des accusations, faute de preuve suffisante.
La conclusion de l'enquête du Coroner est différente. Le Coroner conclut à la responsabilité criminelle de l'homme ayant conduit le véhicule avec les capacités affaiblies par l'alcool.
L'enquête policière de 2016
Les enquêteurs de la SQ ont récupéré l'ensemble des documents encore disponibles concernant les démarches d'enquête de 1977 et la preuve recueillie à l'époque. Cela leur a donc permis de mettre la main sur le dossier de la SQ de même que le dossier d'enquête du Coroner.
La preuve recueillie lors de l'enquête de la SQ en 1977 repose uniquement sur les déclarations des deux suspects ayant survécu. Précisons que les témoignages recueillis lors de l'enquête publique du Coroner tenue à l'époque ne sont, à ce jour, plus disponibles.
Près de 40 ans après l'événement, les policiers de la SQ ont obtenu auprès de 50 personnes des déclarations écrites et vidéos de leurs souvenirs des événements.
Un mandat a également été confié aux enquêteurs du Module des enquêtes collisions de la SQ. Leur mandat consistait à analyser la scène de l'accident en fonction des observations rapportées, à l'époque, par l'agent de la SQ, des photographies de 1977 et de leur visite des lieux le 10 mai 2016.
Les enquêteurs ont aussi requis l'assistance du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du Québec afin de calculer le taux d'alcoolémie du conducteur en fonction des scénarios de consommation élaborés dans ses déclarations.
Rappel des faits
Le 25 juin 1977, vers 22 h 30, deux hommes qui ont consommé de la bière au cours de la journée quittent à bord d'une caravane la réserve de Manawan accompagnés de 5 passagers en direction de Saint-Michel-des-Saints. À la jonction du chemin de la Jetée et du chemin de la Rivière-du-Milieu, ils auraient pris la mauvaise direction.
Vers 0 h 15, la caravane conduite par un des suspects fait une sortie de route dans une courbe et se renverse dans l'eau.
Seuls deux hommes, soit le conducteur et un passager, ont réussi à sortir du véhicule par la fenêtre d'une porte arrière du véhicule. Après avoir attendu un moment sur le toit du véhicule toujours submergé dans l'eau, ils ont nagé jusqu'à la rive.
Ils réussissent à allumer un petit feu pour se réchauffer et attendent la levée du jour pour retrouver leur chemin. Ils marchent ensuite jusqu'à Saint-Michel-des-Saints sur une distance approximative de 18 km. Ils se présentent au poste de police à 10 h 20. Les 5 autres occupants sont décédés, noyés à l'intérieur du véhicule.
Analyse juridique
Il importe de préciser que le passager est décédé de cause naturelle en 2016.
Plusieurs éléments essentiels des infractions à l'étude proviennent des déclarations écrites des deux individus ayant survécu, produites en 1977.
Or, la question de l'admissibilité en preuve de ses déclarations a fait l'objet d'une analyse approfondie qui permet d'arriver à la conclusion qu'elles ne pourraient être admises en preuve conformément aux règles de droit.
Le taux d'alcoolémie du conducteur ne fut pas déterminé lors de l'enquête en 1977, la preuve étant muette sur cet aspect du dossier.
Bien qu'ayant conclu à l'inadmissibilité des déclarations des suspects, en tenant pour acquis que les déclarations puissent être utilisées en preuve, l'interprétation pouvant en être faite donne lieu à deux scénarios de consommation différents. L'un avec un taux d'alcoolémie supérieure à la limite légale et l'autre sous la limite.
Considérant l'analyse différente que nous pouvons faire des déclarations des deux suspects quant à leur consommation d'alcool, il nous apparaît impossible de faire une preuve hors de tout doute raisonnable que le taux d'alcoolémie du conducteur était supérieur à la limite légale.
La preuve de l'état des capacités de conduire du conducteur était complètement inexistante en 1977. Aujourd'hui, au terme de l'enquête, l'analyse des témoignages des différents témoins rencontrés nous permet de conclure à l'impossibilité de prouver hors de tout doute raisonnable que le conducteur avait les capacités affaiblies par l'alcool au moment de la sortie de route le 26 juin 1977 à 0 h 15.
L'ensemble de la preuve incluant les éléments matériels, tels que les photos ou le rapport d'enquête collision, n'apportent également aucune preuve permettant de conclure à la négligence criminelle dans l'omission de porter assistance aux occupants du véhicule au moment de la sortie de route.
Lignes directrices sur la publication des motifs
Le 11 décembre 2015, le DPCP a annoncé l'adoption de lignes directrices qui autorisent et encadrent la publication des motifs qui étayent sa décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers. La publication de ce type de motifs revêt un caractère exceptionnel qui repose non seulement sur des considérations de nature juridique, mais aussi sur l'importance de respecter la vie privée et la réputation des victimes ainsi que des personnes qui font l'objet d'une enquête lorsque la preuve est insuffisante pour permettre le dépôt d'accusations criminelles.
Le DPCP estime que les circonstances exceptionnelles de ce dossier justifient, dans l'intérêt public et afin de préserver la confiance de la population envers l'administration de la justice et l'institution du DPCP, la publication de cette décision.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant, contribuant à assurer la protection de la société, dans le respect de l'intérêt public et des intérêts légitimes des victimes. Pour en savoir davantage : www.dpcp.gouv.qc.ca.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales
Me Jean Pascal Boucher, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085
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